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Les femmes médecins défendent leur droit au congé de maternité

Le ministère exige des hôpitaux qu’ils réduisent les remplacements

10 mars 2017 |Amélie Daoust-Boisvert | Le Devoir

es femmes médecins réclament l’accès à des congés de maternité comme les autres Québécoises. Fortes d’une pétition signée par plus de 2000 médecins, elles n’excluent pas de s’adresser aux tribunaux. Elles estiment que leurs droits sont d’autant plus lésés depuis la mise en place de nouvelles directives dans la foulée des réformes du ministre Gaétan Barrette.

Ce dernier s’en défend : « Je suis à 100 % pour les congés de maternité », a assuré le ministre dans une courte entrevue avec Le Devoir, jeudi.

« Si tu voulais être mère, tu avais juste à ne pas devenir médecin. » Voilà un commentaire qu’Ariane, une médecin d’urgence, alors enceinte, a reçu d’un de ses supérieurs. Elle tentait alors d’obtenir un congé de maternité de plus de 6 mois, qui lui a été refusé.

Le Devoir a recueilli plusieurs témoignages de mères médecins qui s’estiment victimes de discrimination.

Des directives récentes du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour limiter la durée des absences des médecins et n’autoriser qu’exceptionnellement les remplacements ont exacerbé la discrimination, estime l’Association des jeunes médecins du Québec (AJMQ).

L’AJMQ pourrait s’adresser aux tribunaux, affirme sa secrétaire, la Dre Johanne Rioux. « Nous y voyons une atteinte aux droits non seulement des femmes médecins, mais de toutes les femmes. Nous souhaitons que le ministre en constate l’effet pervers. »

Directives du sous-ministre

En novembre, le sous-ministre au MSSS Michel Bureau a averti les directeurs des services professionnels des établissements (DSP), qui sont des médecins et patrons, écrivant que « le nombre de demandes de remplacement des médecins absents est devenu déraisonnable ».

« C’est notre devoir de mettre fin à cela », ajoute-t-il dans le courriel dont Le Devoir a obtenu copie.

Il joint un document signé par le président du tout nouveau comité de révision des demandes de remplacement, le Dr Pierre Laliberté. Ce document résume les orientations que le MSSS « compterait appliquer », écrit M. Bureau, qui demande aux établissements « d’en tenir compte ». « Seuls [les remplacements] qui sont absolument nécessaires seront autorisés », avertit-il.

Le document signé par le Dr Laliberté précise qu’un médecin qui a été autorisé à travailler temporairement dans un hôpital sans y détenir de poste, en raison d’une « urgence », ne pourra pas voir ce privilège renouvelé au-delà de trois mois.

Le document précise qu’il y a un « certain laxisme ou un certain automatisme dans l’octroi des remplacements ».

Il indique aussi qu’« il n’y aura plus d’automatisme, et ce, même pour les remplacements de congé de maternité ou de formation complémentaire […] Le besoin de remplacer devra être démontré ».

Le ministre dit ne pas viser les femmes

Le ministre Gaétan Barrette soutient que l’objectif de ces directives n’est surtout pas de limiter les congés de maternité.

« Je n’ai aucun problème à ce que [les femmes médecins] prennent leur congé de maternité, ni les pères d’ailleurs », a certifié le ministre en entrevue téléphonique. Même d’un an, assure-t-il.

Lorsque cela nécessite un remplacement, il sera autorisé par le MSSS, ajoute-t-il. Selon lui, les établissements et leurs différentes instances ont anticipé des refus et pris des décisions qui, dans au moins un cas dont il a pris connaissance, l’ont « surpris ».

Il confirme toutefois que les remplacements ne doivent plus être accordés aussi facilement qu’avant. « Si le département compte trois médecins, c’est certain qu’on va remplacer, mais s’ils sont vingt, on pense qu’ils peuvent compenser » l’absence d’une collègue.

Le ministre soutient que les directives qui émanent de son ministère ne visent pas les médecins enceintes, mais plutôt des « médecins qui font une carrière du remplacement ». « On veut stabiliser les équipes », résume-t-il.

Québec veut aussi mettre fin à une pratique qui consiste, pour les établissements, à recruter un médecin « dépanneur » qui ensuite pratique pendant une longue période en sus des postes officiellement autorisés.

Conséquences concrètes pour les femmes médecins

Visées ou non, des femmes médecins jugent avoir fait les frais de ces directives. Parmi les médecins de moins de 40 ans, 66 % sont des femmes, et elles comptent pour 49 % des effectifs totaux.

Tristesse, colère, déni : Caroline, une autre médecin d’urgence, a traversé toutes les étapes du deuil lorsque, enceinte, elle a démissionné de son poste qu’elle adorait, dans les derniers mois. On lui refusait un congé de maternité de plus de six mois. Lors d’une grossesse précédente, elle n’avait eu aucun problème à s’absenter un an. « Je ne vois pas pourquoi, comme femme médecin, je n’aurais pas le droit de prendre un congé de maternité », estime-t-elle. Elle pratiquera désormais en clinique.

Les directives ont créé « une ambiance de non-sympathie envers les femmes » dans les hôpitaux, observe-t-elle. « Comme si on en demandait trop en voulant avoir une famille », déplore-t-elle.

Une autre médecin d’urgence, Ariane, raconte s’être aussi battue, en pure perte, pour obtenir un congé de plus de six mois. « Je me sens comme si on voulait m’obliger à faire élever mon enfant par une nounou. C’est impensable pour moi », a-t-elle expliqué. C’est pourquoi elle songe sérieusement à remettre sa démission et à aller travailler en Ontario.

Après être rentrée au travail un peu à reculons quand les instances de son établissement lui ont refusé une prolongation de son congé de maternité, une médecin spécialiste s’est fait dire par des collègues que, étant donné la difficulté de la remplacer, ce serait « irrespectueux » de sa part d’envisager une autre grossesse. Cette médecin envisage sérieusement de porter plainte à la Commission des droits de la personne et même d’entamer des recours au civil.

Le Devoir a eu connaissance d’autres histoires semblables.

Toutes les femmes médecins qui ont accepté de se confier l’ont fait à condition que leur identité soit protégée. Les prénoms ont été modifiés. Elles craignent de subir des représailles. Elles exercent dans des hôpitaux différents.

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