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Opinion Système de santé Un bien collectif à préserver

Geneviève Lemelin, Ph. D. psychologue – La Presse – 17 mars 2018

Je suis psychologue depuis 14 ans auprès de la jeunesse la plus vulnérable de notre société. Je souhaite ajouter ma voix à celle de mes collègues du réseau de la santé. Par solidarité. Et par conscience sociale.

On ne dira jamais trop que la réforme actuelle est délétère pour les soins. Si nous ne sommes pas disponibles et en pleine capacité de nos moyens, la qualité et la quantité des soins en seront inévitablement affectés. Les médecins (et je les remercie de prendre la parole) ont bien compris qu’ils ne peuvent pas à eux seuls porter le réseau. C’est encore plus vrai en santé mentale et en services sociaux.

Il semble y avoir un consensus sur l’état actuel du réseau de la santé québécois. Sauf pour nos ministres, qui paraissent se vautrer dans ce qui semble être un déni de la réalité ou un inquiétant mouvement dissociatif face à la souffrance de la population. Quand le ministre Gaétan Barrette dit dans une entrevue à Enquête qu’il n’a pas été nommé ministre de la Santé pour « faire de la méditation transcendantale et/ou de la lévitation », je me dis qu’il devrait peut-être s’y mettre : ça lui permettrait de se connecter à ce qui se passe autour de lui et à s’élever plus haut que lui-même.

La voie de la sagesse serait de reconnaître les échecs et les erreurs et de faire les ajustements nécessaires afin d’aller de l’avant.

Mon expérience dans le réseau m’amène à témoigner qu’il est vrai qu’il y a une augmentation significative de la détresse psychologique, qu’il y a un problème de recrutement et de rétention, que les exigences augmentent et que le quantitatif prend le dessus sur le qualitatif. La performance est mesurée à partir du nombre de personnes vues, pas du nombre de personnes qui vont mieux. Les intervenants de première ligne sont à bout de souffle et ils sont de plus en plus laissés à eux-mêmes face à la souffrance et aux traumatismes de la clientèle.

Surtout, il y a déshumanisation du réseau. Il y a la suprématie des processus au détriment de l’humain. La machine est devenue trop grosse pour pouvoir se gérer de façon humaine et cohérente.

Après trois ans de réforme, nous pourrions nous attendre à ce que le chaos ait fait place à des services organisés et intégrés. Que l’on puisse s’appuyer sur les gains obtenus pour panser nos pertes. Mais je regarde la situation actuelle et je me demande sincèrement : est-ce que les économies réalisées sont suffisantes et mesurables ? En valaient-elles la peine, voyant la détresse que ça suscite ? J’aimerais bien que l’on nous éclaire à ce sujet. Idéalement avant les élections.

Est-ce que, dans une démocratie, la voix de la population ne devrait pas avoir une certaine forme d’écoute auprès de nos élus et ce, plus que juste une fois aux quatre ans ?

Sur le chemin de la réparation… 

Cela étant dit, nous sommes nombreux à aimer notre travail, à y être engagés et dévoués et à souhaiter, plus que tout, que la détérioration s’arrête pour que l’on puisse reconstruire un système de santé humain et efficace. Je constate les efforts louables pour améliorer l’intégration des services en santé mentale pour nos jeunes ou pour s’assurer que tous aient un médecin de famille. Il y a un accent mis sur la rigueur et l’efficacité, ce qui est tout à fait pertinent. Mais nous sommes pris dans une hiérarchisation rigide (top-down decision) qui nuit à la performance, en plus d’un surinvestissement de l’uniformité au détriment de la spécificité, de la souplesse et du jugement.

Des changements urgents sont nécessaires pour faire renaître l’espoir et pour freiner l’inquiétant mouvement de démobilisation actuel.

Il faut laisser aux établissements la liberté d’évaluer et d’innover pour répondre aux besoins des populations qu’elles desservent.

Il faut retrouver des interventions de proximité, à échelle humaine. Il faut écouter les professionnels et les cadres ; ils savent, pour la grande majorité d’entre eux, ce qu’ils font. Il faut qu’il y ait une meilleure répartition de la richesse et des pouvoirs pour éviter que tout soit centralisé entre les mains des médecins et du Ministère. Il faut actualiser une réelle interdisciplinarité. Il faut plus de souplesse dans les processus, sans compromis sur la rigueur, puisque nous sommes avant tout des humains qui soignons des humains. Il faut une plus grande stabilité du personnel, en améliorant la santé psychologique au travail et en augmentant la reconnaissance et le sentiment d’appartenance. Il faut éviter que les compétences dans un secteur spécifique ne soient sacrifiées au profit de l’ancienneté. Les intervenants du réseau ne sont pas des pions interchangeables.

Enfin, il faut se donner les moyens de nos ambitions et de concevoir de telles dépenses comme des investissements sociaux et capitaux. Puisque personne ne peut, individuellement, prévenir le décrochage scolaire, sortir de la rue des jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le système, réinsérer des délinquants ou offrir une deuxième chance à un enfant maltraité. Personne. Ça ne peut qu’être une œuvre collective. Une mission sociétale que l’on doit, désormais, protéger.

Comme psychologue, je suis très interpellée par la détresse des intervenants et des professionnels du réseau. Je suis aussi préoccupée par les difficultés d’accès aux soins psychologiques des jeunes surtout, mais aussi de toute la population.

Comme citoyenne, j’ai honte des choix de société que nous sommes en train de faire. Puisque la valeur, la civilité d’une société se mesure à la façon dont nous prenons soin de nos plus démunis. La stabilité politique, économique et sociale passe par la qualité des institutions qui s’occupent de l’éducation, de la santé et de la justice. Ce sont les piliers d’une société. Si on fragilise ces institutions, c’est toute la société qui en est ébranlée et ce, pour les générations actuelles et futures.

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