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Privatiser le soutien à domicile: une pente glissante

Le Soleil – Opinion – Un article d’Amélie Daoust-Boisvert publié dans Le Devoir du 6 juin, intitulé «Soins à domicile : le privé appelé en renfort; Montréal et Laval lancent un appel d’offres pour 1,5 million d’heures de services» nous oblige à réagir. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, par le biais de la responsable des relations avec les médias, Marie-Claude Lacasse, nous rassure quant à cette nouvelle : ce sont les services d’aide à la vie domestique seulement qui sont concernés par la privatisation et non les soins à domicile.

Or, faut-il le rappeler, la sous-traitance des services de soutien à domicile existe depuis le milieu des années 80. En effet, déjà, en 1988-1989, selon le MSSS, les deux tiers des CLSC recouraient à des banques de ressources privées afin de répondre aux besoins de services à domicile. Et, faut-il le mentionner, les entreprises privées, à but lucratif, visent à faire du profit et n’ont pas de mission sociale. On se rappelle récemment du partenariat public-privé qui a permis à des médecins spécialistes de s’enrichir avec les frais accessoires en ophtalmologie.

Les services d’aide domestique dont il est question ici sont encadrés par le gouvernement québécois. Le programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD) permet depuis 1996 aux 100 entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD), présentes dans 17 régions du Québec, d’offrir ces services à moindre coût. Le programme prévoit que seuls les services d’entretien ménager léger (lessive, balayage, époussetage, nettoyage); l’entretien ménager lourd (grand ménage, déneigement de l’accès principal au domicile); l’entretien des vêtements; la préparation de repas sans diète et l’approvisionnement et autres courses (RAMQ, 2017) sont couverts.

Or, l’étude de Anctil et Bélanger (1999) démontrait dès le début de l’implantation de ces services l’ambiguïté qui entoure la prestation d’autres services de soutien à domicile «connexes» dont les services de répit présence surveillance.

Comme ces services ne font pas partie du champ d’activité relevant du PEFSAD, les EESAD ne pouvaient pas les offrir selon les mêmes conditions que l’aide domestique. Ainsi, certaines EESAD avaient développé des stratégies afin d’éviter de trop facturer les familles : les demandes de remboursement, envoyées à la Régie de l’assurance maladie du Québec, étaient identifiées comme étant des services d’aide domestique alors qu’il s’agissait en réalité de répit. Pour ce faire, on augmentait le nombre d’heures de services en ajoutant des tâches connexes comme la lessive, la préparation de repas, les courses, etc., pour permettre d’offrir du répit aux proches aidants. Le répit était ainsi offert malgré les règles interdisant cette pratique. Une de ces entreprises avait même un accord avec le CLSC, et près de 60 % de ses clients recevaient plus de 20 heures par mois de services soi-disant «d’entretien ménager».

Le nombre d’heures de répit offert semble important puisque pour cinq de ces entreprises, entre 7 et 30 % des clients reçoivent entre 21 et 60 heures de services par mois, et entre 4 et 10 % reçoivent plus de 60 heures… officiellement de ménage! Aujourd’hui, les EESAD offrent publiquement les services de répit présence surveillance (pour aussi peu que 3 $ de l’heure dans certaines EESAD) et même des soins d’assistance à la personne (hygiène, habillement, alimentation, lever et coucher, gestion des fonctions urinaires et fécales, distribution et administration de médicaments, lecture de la température buccale et de la tension artérielle). Il n’y a qu’à consulter leur site Internet!

Ainsi, le ministère de la Santé et des Services sociaux est bien naïf s’il croit être en mesure de contrôler l’offre de services des entreprises privées pour qu’elles n’offrent que des services d’aide domestique. Or, il est clair qu’ouvrir la porte à la privatisation de ces services, c’est paver la voie pour les autres services de soutien à domicile. Ceci va à l’encontre de la première politique de soutien à domicile Chez soi le premier choix (MSSS, 2003) selon laquelle « les services à domicile seront offerts jusqu’à la hauteur de ce qu’il en coûterait pour héberger une personne présentant un même profil de besoins dans un établissement public».

En outre, privatiser les services de soutien à domicile empêche d’actualiser les orientations de la première politique québécoise du vieillissement Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté, au Québec qui vise à favoriser la participation des aînés dans leur communauté, le maintien de leur santé dans un environnement sain et sécuritaire (MFA & MSSS, 2012). Effectivement, ces orientations ne peuvent se concrétiser si on ne peut assurer le contrôle de la qualité de la prestation des soins et services de santé offerts aux plus vulnérables d’entre eux.

Par ailleurs, des organismes communautaires, dont la mission sociale est d’aider et d’accompagner les proches aidants tout en favorisant leur participation sociale dans leur communauté, dispensent pour leur part des services de répit. Ce faisant, ses organismes, dont le Carrefour des proches aidants de Québec, donnent vie, à leur manière, à la politique québécoise du vieillissement.

Les entreprises privées en soutien à domicile auprès des aînés n’ont pas d’obligation légale ou morale d’assurer une formation adéquate à leurs employés ni de leur verser un salaire décent à la hauteur des responsabilités qu’ils assument et n’ont pas de mission sociale à faire valoir. L’article d’Amélie Daoust-Boisvert mentionne que les syndicats sont inquiets de cette situation. Nous ajoutons ceci : les proches aidants le sont encore plus!

Sophie Éthier, professeure agrégée, École de service social, Université Laval

Marie-Laure Pilette, directrice, Carrefour des proches aidants de Québec

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