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Un système de santé malade… de ses médecins

Opinion – La Presse+ – 11 mars 2017

Pierre Biron et Fernand Turcotte, Montréal

Pierre Biron est professeur honoraire de pharmacologie, faculté de médecine, Université de Montréal ; Fernand Turcotte est professeur émérite de médecine préventive et santé publique, faculté de médecine de l’Université Laval.

Il faut mieux organiser la médecine, en faciliter l’accès et répartir plus équitablement les rémunérations entre professionnels de la santé au lieu de toujours privilégier ceux au sommet de l’échelle

On y apprenait qu’il en coûte 1375 $ pour l’exérèse d’une cataracte, un acte réalisé en 15 minutes, ce qui représente 55 000 $ par jour pour 40 opérations. Même sans ce genre de dérives, ce sont systématiquement les spécialités techniques qui gagnent le plus (radiologie, ophtalmologie, etc.) et les spécialités dites cognitives qui gagnent le moins (psychiatrie, omnipratique, etc.), une réalité non spécifique au Québec.

Philippe Couillard, avant d’être ministre de la Santé, écrivait dans La Presse du 3 octobre 2002 : « Ne commettons pas l’erreur d’affaiblir notre système de santé gratuit et universel au profit de l’entreprise privée, qui s’est avérée incapable, partout où on lui en a donné l’occasion, d’offrir des services aussi accessibles et peu coûteux qu’un régime basé sur la taxation universelle », phrase reprise dans Le Devoir du 14 février 2006 par Michel David.

Nommé ministre de la Santé en 2003, M. Couillard permet l’incorporation des médecins en 2007. Dix ans plus tard, près de la moitié des médecins sont incorporés, ce qui leur permet de couper en deux leur taux d’imposition, comme s’il s’agissait d’une entreprise et non d’un service public.

Deux mois après avoir quitté la Santé et la vie politique en 2008, M. Couillard se joint à une société de prestataires de soins privés. Premier ministre depuis 2014, son administration laisse la RAMQ continuer à ne pas dévoiler aux payeurs de taxes (et au Collège des médecins) les revenus annuels nets de chaque médecin. Et on n’exige pas la divulgation des autres revenus professionnels.

Privatisation rampante

Chapeau bas aux présidents successifs du groupe Médecins québécois pour le régime public, les Marie-Claude Goulet, Saïdeh Khadir, Alain Vadeboncoeur et Isabelle Leblanc, qui depuis 2008 portent à bout de bras, avec plusieurs centaines de membres, un groupe de pression pour contrecarrer la privatisation rampante qui gruge notre système public.

La profession n’est pas seulement coûteuse par sa rémunération, mais aussi par ce qu’elle prescrit : des analyses, des interventions et des médicaments.

Elle détient entre ses mains et distribue par des signatures le budget le plus important de la province ; c’est un pouvoir de gestion du PIB qui est non seulement sans précédent, mais demeure incontesté.

Il y a quatre ans, Québec s’est classé au premier rang pour les dépenses pharmaceutiques par personne ; tous produits confondus, nous avons remporté la palme avec des dépenses 30 % plus élevées que le reste du Canada, ainsi que dans 17 de 33 classes médicamenteuses. Le volume prescrit relève des médecins ; cette apparente banalisation collective de la prescription ne doit plus passer inaperçue. Mais qui surveille le profil de qualité, de pertinence, de sécurité et d’utilité réelle des ordonnances de chaque médecin ? Personne.

En santé publique, on gaspille en finançant des campagnes de dépistage du cancer du sein et du cancer de la prostate même si les bienfaits sur la qualité ou l’espérance de vie n’ont pas été démontrés capables de contrebalancer les méfaits. Dans la même veine, le poids média global de la campagne vaccinale contre la pseudo-pandémie grippale H1N1 suscita la risée en arrivant premier au monde en 2009.

Plus d’équité

La médecine québécoise est bien « distincte », faite pour les médecins, surtout les spécialistes, mais c’est une distinction dont on pourrait se passer. Il faut changer de médecine, mieux l’organiser au lieu de la déstructurer, en faciliter l’accès et répartir plus équitablement les rémunérations entre professionnels de la santé au lieu de toujours privilégier ceux au sommet de l’échelle et dont le poids politique est devenu trop lourd.

Dans Le patient et le médecin (PUM, 2014), Marc Zaffran affirme que le métier de médecin et la fonction d’élu sont incompatibles. M. Zaffran se demande aussi si le médecin élu peut toujours mener une politique de santé équitable en suivant la ligne du parti qui lui a confié ce poste. Le Québec serait-il malade de ses médecins présentement au sommet du pouvoir ?

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