Bilan de la loi 10 Des C.A. bidon dans les établissements de santé du Québec, selon deux experts

Ariane Lacoursière – La Presse – 4 avril 2017

Les conseils d’administration des établissements de santé du Québec ne « décident de rien d’important », car tous les pouvoirs sont rassemblés entre les mains du ministre de la Santé Gaétan Barrette et de son ministère. Voici l’un des principaux constats dressés par Yvan Allaire et Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), dans une lettre ouverte publiée aujourd’hui dans La Presse.

Leurs conclusions sont d’autant plus intéressantes qu’au départ, l’IGOPP avait appuyé publiquement le projet de loi 10 du ministre Barrette. Aujourd’hui, MM. Nadeau et Allaire estiment plutôt que « la réforme de la gouvernance du système de santé n’a pas donné les résultats escomptés et n’a pas contribué à l’amélioration du système ».

La première réforme du ministre Barrette

Première réforme à avoir été présentée par le ministre Barrette, la loi 10 a fait passer de 182 à 32 le nombre d’établissements dans le réseau de la santé. Les hôpitaux, les centres d’hébergement pour aînés et les centres jeunesse, notamment, sont maintenant regroupés au sein de Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), qui possèdent chacun un conseil d’administration.

« Initialement, ce regroupement devait permettre une décentralisation du système de santé », note le directeur général de l’IGOPP, Michel Nadeau.

« Les conseils d’administration des établissements de santé devaient avoir plus d’autonomie et d’autorité. »

— Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’IGOPP

Mais rien de tout cela ne s’est passé, constatent les deux experts, qui déplorent le fait qu’actuellement, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et le ministre ont autorité sur tout, reléguant les conseils d’administration à un rôle secondaire.

Selon l’IGOPP, le MSSS devrait plutôt formuler les grandes orientations en santé, et les conseils d’administration devraient pouvoir les adapter en fonction de leur réalité locale. « Mais ça ne se passe pas ainsi. Les CISSS ne décident de rien d’important », affirme M. Nadeau. « Les C.A. ont peu de pouvoir. Ils sont mal informés et sont encadrés de façon très serrée », ajoute M. Allaire.

Un « vice mortel de gouvernance »

Les deux experts déplorent également un « vice mortel de gouvernance », alors que les présidents-directeurs généraux (PDG) des CISSS relèvent du sous-ministre à la santé plutôt que de leur conseil d’administration respectif. « Le conseil d’administration devient quelque chose qui prend du temps, mais qui n’a aucune autorité sur le PDG », constate M. Allaire. Pour lui, les PDG devraient au contraire « exécuter les décisions des conseils d’administration ».

En juin 2016, le président du conseil d’administration du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Jean Landry, a démissionné en affirmant que le modèle de gouvernance actuel « ne permettait pas au conseil d’administration d’exercer son rôle et d’avoir une valeur ajoutée signifiante ».

M. Allaire confirme qu’il y a actuellement « beaucoup de grogne » sur le mode de gouvernance. S’ils s’attendent à ce que leur lettre soit « mal accueillie » par le ministre, les experts ont tout de même voulu publier leur position. « C’est notre rôle. On est un institut sur la gouvernance. On se sentait obligés de donner notre position, car on était un des seuls groupes à appuyer le PL10 au départ », dit M. Allaire.

Les deux experts sont d’autant plus inquiets que dernièrement, le ministre Barrette a déposé le projet de loi 130 dans lequel il souhaite se donner le pouvoir de nommer les PDG adjoints des CISSS. Déjà, le ministre a nommé les premiers PDG des établissements de santé dans la foulée de la loi 10. Ce privilège devait être temporaire et par la suite confié aux conseils d’administration. « Or, on constate que ce n’est pas le cas. Le ministre va même plus loin », souligne M. Nadeau. Ce dernier ajoute que les membres indépendants des conseils d’administration, qui devaient ultimement être rémunérés, ne le sont toujours pas.

Selon l’IGOPP, le MSSS doit rapidement former les membres indépendants des conseils d’administration à la complexité du système pour leur permettre d’assumer pleinement leurs fonctions. La relation entre le MSSS et les CISSS doit aussi impérativement être revue.

Barrette rejette l’analyse

Le ministre Barrette affirme qu’il ne « partage pas du tout » l’analyse des experts de l’IGOPP. Pour lui, les conseils d’administration des CISSS sont tout à fait en mesure d’adapter les orientations du Ministère sur le plan régional. Il affirme que si la vision de l’IGOPP était appliquée, la gouvernance du réseau de la santé serait « régionalisée », de sorte que le Québec aurait « 32 MSSS », ce qui n’est pas souhaitable actuellement. « Beaucoup de gens souhaitent ça. Mais on n’est pas là. La phase de transformation n’est pas encore complétée », soutient le ministre.

Ce dernier ajoute qu’actuellement, le Ministère donne les orientations et que les conseils d’administration des CISSS les déploient en fonction de leur réalité. « Mais les C.A. n’ont pas d’autonomie absolue », dit-il.

Le ministre ajoute que les PDG, nommés par lui, « ne contrôlent pas les C.A. », mais permettent de s’assurer que « les directives se rendent sur le terrain ».

M. Barrette ajoute qu’il veut nommer les PDG adjoints du réseau « pour s’assurer de la continuité de la relève » advenant le départ imprévu d’un PDG. Il affirme que les conseils d’administration sont actuellement en « période de transition et d’apprentissage de nouvelles structures » et que « quand les choses seront claires, on pourra changer les façons de faire ».

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