Marco Fortier – Le Devoir – 4 avril 2017
Les gens âgés de 65 ans et plus représentent plus de la moitié des victimes
Les feux de circulation pour piétons ne sont pas pensés en fonction des personnes âgées qui marchent plus lentement que la moyenne des gens.
Le nombre de piétons heurtés à mort par un véhicule a augmenté de 40 % en 2016, et de 8,6 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. Les décès de piétons âgés de 65 ans et plus sont en bonne partie responsables de cette hausse « préoccupante » des accidents mortels impliquant des gens qui se déplacent à pied.
Il faudra s’y faire : la population du Québec vieillit. Les piétons deviennent vulnérables en traversant les rues, révèle le bilan routier de l’année 2016 rendu public mardi par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
Soixante-trois piétons ont perdu la vie après avoir été heurtés par un véhicule l’an dernier au Québec. Les gens âgés de 65 ans et plus représentent plus de la moitié (55,6 %) de ces victimes. Le groupe d’âges de 75 à 84 ans est le plus touché, avec 17 décès en 2016.
Ces sombres statistiques viennent entacher un bilan routier plutôt positif — le deuxième meilleur en 70 ans, souligne la SAAQ. Le nombre de décès sur les routes (351) a baissé de 10,6 % par rapport à la moyenne des années 2011 à 2015. Le nombre de blessés graves a baissé de 16,6 % et celui des blessés légers a baissé de 1,7 %, toujours si on les compare à la moyenne des cinq années précédentes.
La hausse jugée « préoccupante » du nombre de décès de piétons est due à plusieurs facteurs, dont la vitesse des véhicules, l’usage du téléphone cellulaire et le non-respect des passages pour piétons, a dit le ministre des Transports, Laurent Lessard, mardi.
« Je suis allé dans le Maine il n’y a pas si longtemps. Pour traverser, lorsque c’est bien indiqué, tout le monde arrête. Ici, je me promène dans Québec comme tout le monde et on dirait que ce volet-là de respect… J’interpelle chacun des automobilistes. Il y a une responsabilité personnelle, mais il faut aller plus loin parce que, de toute évidence, le message ne passe pas complètement », a-t-il dit.
La responsabilité pour cette hausse des accidents mortels est partagée entre piétons et automobilistes, notent le ministre Lessard et la SAAQ. Quant au nombre total de piétons victimes d’une collision, il s’élève à 2767 personnes, en légère baisse de 1,4 % par rapport à 2015.
Après trois années de consultations, le gouvernement Couillard s’apprête enfin à déposer sa version améliorée du Code de la sécurité routière. « Tous les éléments sont en place pour que je puisse déposer un projet de loi d’ici la fin de juin ou à la rentrée en septembre », a dit le ministre des Transports.
Des changements viseront à mieux signaler les passages pour piétons. Le ministre Lessard évoque aussi de possibles interdictions des camions lourds dans des rues où les piétons sont plus nombreux ou plus vulnérables.
Repenser la ville
Marie-Soleil Cloutier, professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, se réjouit de la prise de conscience de la vulnérabilité des piétons. La population vieillit. Il faut repenser les villes pour permettre aux personnes âgées de marcher en sécurité, souligne-t-elle.« Nos aînés et nos enfants hésitent à marcher. Ils ne se sentent pas en sécurité. Il y a plus de piétons et plus de véhicules, mais les aménagements ne suivent pas », dit la chercheuse, qui dirige le Laboratoire piétons et espace urbain à l’INRS.
Par exemple, les feux de circulation pour piétons sont généralement conçus pour permettre de traverser la rue au rythme de 1,1 ou 1,2 mètre par seconde. Les personnes âgées, elles, marchent à 0,8 mètre par seconde. Des villes, dont Montréal, ont commencé à allonger le temps de traverse à certaines intersections pour s’ajuster en conséquence.
La Ville de New York a diminué de façon importante les décès de piétons en ajoutant aussi des caméras de surveillance, en ajoutant des saillies de trottoir aux intersections, en réduisant la largeur des voies de circulation et en réduisant la limite de vitesse dans des secteurs où les piétons sont vulnérables, souligne Marie-Soleil Cloutier.
Fait à noter, la présence de pistes cyclables augmente le risque pour les piétons, surtout les piétons âgés, qui se déplacent souvent en fixant le sol, souligne la professeure.
Les intersections sont particulièrement à risque pour les piétons : environ la moitié des accidents surviennent au croisement de deux rues, indique la SAAQ.
Les deux tiers des collisions mortelles pour des piétons sont survenus alors que la personne tentait de traverser la chaussée, précise le groupe Piétons Québec, fondé en 2015. Dans seulement 10 % des collisions, le piéton traversait à l’encontre de la signalisation, note l’organisme, qui a analysé les données de la SAAQ pour les années 2011 à 2015.
« Les coroners montrent du doigt la déficience des aménagements urbains et la culture de la vitesse au Québec pour expliquer les décès de piétons », dit Félix Gravel, porte-parole de Piétons Québec.
Il est d’accord avec le ministre Laurent Lessard : « Le Québec est un très piètre élève en matière de respect des piétons. Nous formons une société tolérante ayant une culture du compromis et du partage, mais en matière de transports, comment peut-on être aussi irrespectueux des autres ? » dit Félix Gravel.
Aux États-Unis, où les piétons sont traités avec plus de respect, le nombre de personnes heurtées mortellement en se déplaçant à pied est aussi en hausse — de 22 % entre les années 2014 et 2016, selon une étude dévoilée par l’organisme Governors Highway Safety Association.
La distraction causée par les textos a été montrée du doigt. Des commentateurs américains en ont attribué la responsabilité aux piétons, mais d’autres ont rappelé que les textos au volant sont beaucoup plus dangereux.