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CHRONIQUE ENTENTE SUR LES TRANSFERTS EN SANTÉ: Le « high five » de Jane Philpott

La Presse+ – 14 mars 2017

Alain Dubuc – Collaboration spéciale

Je ne peux pas dire que j’ai été terriblement étonné en apprenant que le Québec, l’Ontario et l’Alberta avaient signé à reculons l’entente sur la santé imposée par Ottawa. Ces provinces n’avaient pas le rapport de force pour obtenir davantage du gouvernement fédéral.

Mais ce qui m’a fait tomber en bas de ma chaise, c’est le « high five » de la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott. Debout à la Chambre des communes, la ministre a célébré l’adhésion des trois grosses provinces en tapant dans la main d’un collègue comme si elle venait de marquer le point gagnant dans une partie de volleyball.

La situation aurait exigé de la retenue. Les provinces ont accepté, à reculons, une entente selon laquelle les transferts fédéraux en santé seront beaucoup plus bas qu’ils l’étaient et beaucoup plus bas qu’ils l’auraient souhaité. La décence la plus élémentaire aurait voulu que la ministre les remercie de leur compréhension.

Avec sa déclaration jovialiste, « C’est une journée fantastique », et son « high five » intempestif, Mme Philpott envoyait plutôt un tout autre message, qui ressemblait pas mal à : « Yé, on les a eus ! » On peut difficilement imaginer une manifestation aussi crue du fédéralisme arrogant dont on voit poindre le retour à Ottawa.

Si Mme Philpott avait tant de mal à maîtriser son enthousiasme, c’est que la signature de cette entente par neuf provinces – le Manitoba résiste encore – marque une victoire pour Ottawa. Ou plus précisément une quadruple victoire.

D’abord une victoire politique d’Ottawa contre les provinces. C’est le gouvernement Harper, en fin de mandat, qui a voulu fermer le robinet, en décrétant, sans discussion, que les transferts en santé aux provinces passeraient de 6 % à 3 % par année. Le gouvernement Trudeau a bonifié l’enveloppe avec un montant forfaitaire de 11,5 milliards sur 10 ans, mais n’a pas bougé sur le 3 % et a même ajouté un élément de chantage – les provinces qui ne signeraient pas n’auraient pas leur part des 11,5 milliards. Le gouvernement Trudeau a fait le pari que s’il ne bronchait pas, le front commun des provinces s’effriterait et les provinces finiraient par signer une à une. Ça a marché.

Ensuite, une victoire financière. Derrière l’affrontement, il y a d’énormes enjeux budgétaires. Les dépenses de santé des gouvernements croissent plus vite que la richesse collective. C’est le principal facteur, selon le directeur parlementaire du budget, qui menace la viabilité financière des gouvernements. Avec une hausse des transferts de 3 % pendant 10 ans – ou encore l’équivalent de la croissance du PIB nominal – et des versements forfaitaires qui seront modestes au début de l’entente, le gouvernement fédéral s’assure que ses dépenses de santé croîtront moins vite que ses revenus et ne menaceront donc pas ses équilibres budgétaires. Ce sont les provinces qui devront subir le choc d’une explosion prévisible des dépenses de santé.

C’est aussi une victoire idéologique. Le montant forfaitaire de 11,5 milliards est conditionnel. Pour y avoir droit, les provinces devront consacrer ces fonds à deux priorités définies par Ottawa, les soins à domicile et la santé mentale, et se soumettre à des critères de performances édictés par le gouvernement central. Le Québec échappe à ces contraintes en vertu du principe de l’asymétrie.

Ces conditions marquent le retour d’une conception du fédéralisme où le gouvernement central impose sa loi dans un domaine de responsabilité provinciale. Pourquoi ? Parce que la santé est l’enjeu qui touche le plus les citoyens. Et surtout parce que le système de santé est un des piliers de l’identité canadienne, un des éléments qui distingue le Canada des États-Unis.

Ce n’est pas une manœuvre centralisatrice, mais plutôt une politique identitaire. Le gouvernement Trudeau se définit comme une incarnation de l’âme canadienne. Dans cette logique, il pouvait difficilement ne pas vouloir aussi être le gardien de son système de santé.

Il y a peut-être une quatrième victoire, celle du marketing. Le message qui risque quand même de passer, c’est peut-être celui d’un tweet de Mme Philpott : « Ça mérite un « high five ». Entente avec l’Alberta, l’Ontario et le Québec pour une croissance des transferts en santé et un meilleur accès pour la santé mentale et les soins à domicile. »

Dans les faits, la part du financement fédéral en santé baissera d’ici 10 ans, pour passer de 23 % à 20 %. Par ailleurs, en faisant de la santé mentale et des soins à domicile sa priorité, il défonce une porte ouverte, parce que ces deux enjeux sont déjà au cœur des préoccupations provinciales. Bref, Ottawa mettra moins d’argent en santé et n’aura pas d’influence significative sur le développement des politiques de santé.

Mais dans cette période qui est celle des apparences, peut-être que le gouvernement Trudeau réussira quand même à se présenter comme celui qui a le plus à cœur la santé des Canadiens de la classe moyenne…

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