En dépit des promesses, l’offre de soins à domicile souffre de la réforme Barrette, selon la protectrice du citoyen, Marie Rinfret. « Cessons de leurrer les gens », a-t-elle lancé après le dépôt de son rapport annuel à l’Assemblée nationale, hier. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, minimise les conclusions de ce rapport qui, pour l’opposition, « dégonfle la propagande libérale »
« NIVELLEMENT VERS LE BAS »
Deux ans après la réforme Barrette, l’accès à certains services « pose toujours problème », conclut la protectrice du citoyen. Cette réforme a entraîné la fusion des établissements de santé et l’intégration à une échelle régionale des offres de services locales. Si elle n’est pas globalement un échec, selon Mme Rinfret, elle « n’apporte pas encore les améliorations attendues » en matière de soins à domicile. « L’offre de services tend à un nivellement vers le bas. Des personnes ont vu leurs heures de services coupées, alors que leurs besoins n’avaient pas diminué. Cela n’est pas acceptable », a-t-elle affirmé. Dans l’intégration des offres de services, « on choisit le modèle local qui représente une économie de moyens et on l’étend à une échelle régionale ». Conséquence : « sans même revoir l’évaluation des personnes, on coupe le service de lavage, le service pour aller faire l’épicerie, sans réfléchir ». La prédécesseure de Mme Rinfret, Raymonde Saint-Germain, avait fait un constat semblable l’an dernier, preuve que la situation ne s’améliore pas.
QUÉBEC S’ÉLOIGNE DE SA CIBLE
Dans son Plan stratégique 2015-2020, le ministère de la Santé s’est donné pour cible d’augmenter de 15 % le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus recevant des services à domicile. Or, il y a eu diminution de 0,9 % l’an dernier. Et c’est seulement 8,6 % des aînés qui reçoivent de tels services aujourd’hui. La durée moyenne d’intervention a diminué de 7,4 % de 2010 à 2016, pour atteindre 44 minutes. C’est le résultat de « nouvelles balises limitant le temps consacré à chacune des activités offertes », pour donner un bain ou préparer les repas, par exemple. Des plafonds sont fixés « même si, dans certains cas, ce seuil maximal ne répond que partiellement aux besoins de la personne ». Des établissements mettent fin à la gratuité des services d’aide domestique. « On exige une implication sans cesse accrue des aidants naturels. »
DES BALISES RÉCLAMÉES
Alertée par un nombre croissant de citoyens, Marie Rinfret a interpellé les responsables des services de soutien à domicile dans les CISSS et les CIUSSS. « Les constats sont clairs : la majorité des intervenants du réseau peinent à mettre en œuvre la réforme d’avril 2015, notamment pour combler les besoins en soutien à domicile. » Par conséquent, « il est impératif que le Ministère fournisse rapidement les balises décisionnelles nationales afin que les services soient harmonisés dans l’ensemble du réseau, sur tout le territoire du Québec. » Le gouvernement doit donner l’heure juste sur les services à domicile qu’il peut offrir « selon nos moyens et en fonction des besoins des personnes ». « Cessons de leurrer les gens », a lancé Marie Rinfret.
BARRETTE ET COUILLARD RÉPLIQUENT
Gaétan Barrette fait valoir que le nombre d’heures de services et le nombre d’interventions à domicile ont augmenté de 10 % depuis 2013. « On investit plus et les résultats sont là. Est-ce que c’est parfait ? Évidemment que non », a-t-il dit. Marie Rinfret a réagi en soulignant que « le nombre d’heures augmenté ne tient pas compte, lui, de l’augmentation des personnes qui ont besoin de ce service-là. Donc, quand on utilise ces données de manière absolue, il faut faire extrêmement attention ». Le ministre plaide que le gouvernement « a à faire des choix » et n’a « pas le budget » pour répondre en totalité à une demande croissante. Pour le premier ministre Philippe Couillard, « il est normal que le rapport fasse état des déficiences qu’il reste à corriger, mais on est nettement dans la bonne direction ». Il avait promis en campagne électorale d’investir 150 millions de plus par année pendant cinq ans en soins à domicile, ce qui est en voie d’être atteint, selon lui.
MANQUE DE PLACES EN CHSLD
Marie Rinfret déplore un manque « criant » de places disponibles en CHSLD, au moment où les besoins s’accroissent. Elle constate « un resserrement des critères d’admissibilité » et une « augmentation des délais d’attente ». « Par effet de domino, les ressources intermédiaires sont surutilisées, alors que, bien souvent, elles accueillent des personnes dont les besoins sont trop lourds pour elles », a-t-elle affirmé. Plus de 3000 personnes attendent une place en CHSLD. Pour l’ensemble de l’administration publique, Marie Rinfret observe que les longs délais d’attente sont le principal motif de plaintes des citoyens. Que ce soit pour traiter un dossier, rendre une décision, entreprendre le paiement d’une indemnisation ou encore fixer une audition devant un tribunal administratif.
MALTRAITANCE CONTRE DES HANDICAPÉS
L’État signe des contrats avec des centres privés, des « ressources intermédiaires », pour héberger des personnes lourdement handicapées. Marie Rinfret constate que dans certains cas, le personnel est insuffisant et manque de formation. « Fait exceptionnel et particulièrement inquiétant cette année : les interventions du Protecteur du citoyen ont mené à la fermeture de trois ressources » d’hébergement, lit-on dans son rapport. Un exemple : une personne hébergée dans une ressource intermédiaire était maltraitée par d’autres résidants depuis quelques années, au vu et au su des autorités publiques de la santé. Le personnel s’était plaint et un rapport interne accablant avait été produit, mais c’est seulement lorsque le Protecteur du citoyen s’est mêlé du dossier que la fermeture a été décrétée. Le nombre de plaintes traitées par le Protecteur du citoyen en 2016-2017 dans le secteur de la santé a bondi de 30 % par rapport à la moyenne des trois années précédentes. Une plainte sur deux est fondée, ce qui est « préoccupant », selon Marie Rinfret.
L’OPPOSITION FULMINE
« Le premier ministre et son gouvernement devraient avoir honte d’avoir ce bulletin », a lancé le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée. La protectrice du citoyen « dégonfle la propagande libérale sur la fin de l’austérité toxique », selon lui. « Les milliards de dollars de surplus qui vont être utilisés pour des bons électoraux » ont été dégagés « sur le dos » de personnes vulnérables, a-t-il ajouté. Pour le député caquiste François Paradis, « le gouvernement ne peut plus nier la crise » et doit investir davantage dans les soins à domicile. L’élu de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois estime que le ministre Barrette a « raté » sa réforme.