Désengorgement des urgences: Des patients instables retournés chez eux, dénoncent des intervenants

Ariane Lacoursière – La Presse – 3 mai 2017

Afin de libérer rapidement des lits d’hospitalisation et d’ainsi désengorger les urgences, de plus en plus d’hôpitaux accordent des congés trop rapidement ou à des patients instables, déplorent plusieurs intervenants du domaine de la santé.

Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, signale qu’un patient hospitalisé dans un hôpital montréalais a dernièrement été retourné en pleine nuit dans son centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). « Pour ce patient, c’est inhumain », dit M. Brunet.

Le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), confirme que « de plus en plus de patients instables obtiennent leur congé ». « Quand tu mets beaucoup de pression, ça fait partie des conséquences possibles », affirme le Dr Godin.

Vider rapidement les urgences

Le 20 avril, La Presse a rapporté que des établissements de santé, pressés d’améliorer leurs performances aux urgences, ont adopté différentes mesures.

Au Conseil pour la protection des malades, on dit recevoir un nombre croissant de plaintes de familles de patients instables retournés à domicile prématurément. Récemment, un homme de 87 ans de Montréal dont la trachéotomie s’infectait était sur le point d’obtenir son congé. Sa femme de 90 ans a vivement contesté la décision. « Le patient a finalement été réévalué et gardé à l’hôpital, le temps de lui trouver une place en CHSLD », témoigne M. Brunet. Pour lui, la pression pour libérer les urgences est telle que des professionnels « frôlent les manquements éthiques pour arriver à de meilleures statistiques ».

Janel Etchie, présidente locale du syndicat de l’APTS au centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Centre, affirme que les professionnels sont effectivement déchirés entre la pression de libérer les urgences et leurs obligations déontologiques. « Il y a beaucoup d’inquiétudes. À un point tel qu’on organise des rencontres la semaine prochaine sur le sujet », affirme Mme Etchie.

Un médecin travaillant dans un CHSLD de l’est de la province, qui préfère garder l’anonymat, affirme recevoir des patients ayant reçu leur congé de l’hôpital en pleine nuit. Ce même médecin raconte qu’un patient en fin de vie a obtenu son congé de l’hôpital et a été retourné dans son CHSLD, où il est mort cinq jours plus tard. « Chez les gens âgés, tout transfert crée énormément d’insécurité. Pourquoi avoir transféré cette personne ? Pour justifier le chamboulement d’un tel transfert, il faudrait un pronostic plus long », dit-il.

Le Dr Sylvain Dion, président de l’Association des médecins de CLSC, affirme voir occasionnellement des cas de patients « pas très forts, qui obtiennent malgré tout leur congé de l’hôpital ». « Mais est-ce que la situation est pire depuis deux semaines ? Je ne pense pas », dit-il.

Le ministre accuse les médecins

De son côté, le ministre de la Santé Gaétan Barrette assure que la demande envers les établissements de santé n’est pas de libérer à tout prix les lits et les urgences, mais bien de « gérer les lits de façon appropriée ». « En aucun cas, on n’encourage les mauvaises pratiques », dit-il.

En commission parlementaire hier, le ministre a été fortement questionné sur les performances des urgences québécoises pour 2016-2017. Le ministre a fait face au tir croisé de ses critiques du Parti québécois, Diane Lamarre, et de la Coalition avenir Québec, François Paradis, qui ont demandé des comptes sur les temps d’attente qui « stagnent ». « C’est vrai que cette année, la réduction du temps d’attente n’a pas diminué de façon significative. Mais il a diminué considérablement par rapport aux 17 heures au moment où on est entrés en poste [en avril 2014] », a souligné le ministre Barrette.

Ce dernier a rappelé que son gouvernement a injecté 100 millions pour augmenter le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux. Mais selon M. Barrette, ceux-ci ont été détournés par des médecins pour accueillir des cas électifs. « Si je libère 10 à 15 % des lits d’hôpitaux, il faut que ça aille aux urgences », martèle le ministre.

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