Dix propositions pour garantir un accès équitable à des soins de qualité

La Presse – 8 avril 2018

André-Pierre Contandriopoulos, Professeur émérite, département de gestion, d’évaluation et de politique de santé, École de santé publique de l’Université de Montréal

La réforme du système de santé est une exigence démocratique

Les Québécois sont inquiets. Pas une journée ne passe sans que de mauvaises nouvelles circulent sur les files d’attente aux urgences, sur la quasi-impossibilité de s’inscrire auprès d’un médecin de famille, sur l’épuisement professionnel des infirmières, des travailleurs sociaux, des cadres du réseau, sur les coupes budgétaires dans les établissements, sur l’augmentation des revenus des médecins, etc.

La dernière enquête comparative du Commonwealth indique qu’au Québec, seulement 2 personnes sur 10 pensent que le système de santé est « assez efficace », et 8 sur 10 croient que des changements importants sont nécessaires. Parmi les pays comparés, le Québec est la société dans laquelle l’insatisfaction est la plus haute1, et ce, malgré les réformes menées par le Dr Barrette.

Ces interrogations sont importantes parce qu’elles soulèvent des enjeux politiques et éthiques fondamentaux. Si l’on admet que la justification première de l’action de l’État dans les sociétés démocratiques est de permettre à chaque personne de vivre aussi bien et aussi longtemps que possible, alors garantir l’équité par rapport à l’accès aux soins et à la santé est essentiel tout comme la protection des libertés individuelles, la nécessité d’assurer la sécurité et l’obligation d’utiliser au mieux les ressources collectives.

Le système de santé est, en fait, le miroir de la société tout entière.

C’est en grande partie pour cette raison que plus du tiers du budget du gouvernement du Québec (sans les frais de la dette2) est affecté au financement du régime d’assurance maladie. Mais si le système de santé est inéquitable, peu efficient, plein de passe-droits, sclérosé, peu respectueux de la dignité humaine et des droits des personnes vulnérables, alors il est fort probable que c’est notre société tout entière qui est inéquitable, sclérosée, mesquine et peu respectueuse des droits des plus démunis ! On comprend, dans ces conditions, que la réforme du système de santé n’est pas seulement une question technique, mais une véritable exigence démocratique !

Les causes de la crise du système de santé

À la fin des années 80, le système de santé du Québec entre dans une situation de crise structurelle qui, depuis, ne fait que s’amplifier.

D’un côté, comme dans tous les pays développés, trois grands phénomènes sur lesquels les États n’ont que peu de prise conjuguent leurs forces pour élargir et transformer le champ d’action de la médecine et accroître les attentes de la population :

– Le développement des connaissances et des technologies, dominé par de grandes entreprises multinationales (industrie pharmaceutique, par exemple) qui étendent à l’infini le pouvoir de l’homme sur la vie ;

– Le vieillissement de la population qui entraîne un accroissement sans précédent des maladies systémiques nécessitant la collaboration simultanée de nombreux professionnels ;

– La détérioration de l’environnement qui a un impact lourd sur la santé de la population.

D’un autre côté, les crises économiques et les déficits accumulés par les États, et entre autres par le Québec, obligent les gouvernements à contrôler leurs dépenses et donc à réduire les dépenses de santé.

La crise financière et économique de 2008 montre de façon tout à fait éloquente la position délicate dans laquelle sont placés les gouvernements : s’ils veulent conserver leur capacité à agir de façon démocratique, ils doivent couper dans les dépenses publiques, et donc dans les dépenses de santé, afin de ne pas alourdir la dette. Ce faisant, ils risquent de perdre leur légitimité auprès de la population qui les a élus et qui s’attend à bénéficier d’un accès équitable à des services de santé de qualité. Confrontés à ce dilemme, les pouvoirs publics ne peuvent tenir aucun autre discours que celui de la réforme. Tous disent : « Il est possible de faire plus et mieux avec les ressources existantes. Il faut s’engager sur une trajectoire d’amélioration continue de la performance. Il faut lutter contre la fragmentation du système de santé, il faut améliorer l’intégration ».

Tous les ministres de la Santé du Québec ont tenu ce discours, tous ont proposé des réformes dont l’objectif était l’amélioration de l’intégration en jouant sur les structures. Aucun n’a réussi à transformer en profondeur les pratiques des professionnels pour qu’elles soient réellement centrées sur les besoins des patients.

Des propositions pour réformer le système

La solution n’est pas de créer de nouvelles structures, mais de favoriser l’organisation dans tout le Québec de réseaux intégrés de soins de proximité adaptés à la réalité de chaque milieu et dans lesquels des professionnels collaborent pour mettre réellement la personne au centre du système de santé3.

Concrètement, il faudrait que ces professionnels puissent s’organiser pour que chaque personne qui est inquiète pour sa santé, qui ressent un malaise, qui est suivi pour un problème, soit accueillie sans délai, observée, écoutée, rassurée par un professionnel qui soit attentif à son histoire et sa singularité.

Il faudrait que cette équipe soit responsable de diagnostiquer les problèmes de santé, d’obtenir les consultations spécialisées nécessaires, de traiter ou d’organiser le traitement, d’accompagner les patients durant les soins, de les orienter dans le système de santé, et de les suivre par la suite.

L’implantation des réseaux de proximité impliquerait qu’on agisse non pas sur les structures pour renforcer les mécanismes centralisés de coordination, comme l’ont fait le Dr Couillard et le Dr Barrette en créant les CSSS puis les CISSS, mais sur les pratiques des professionnels pour favoriser la coopération dans l’accueil, la prise en charge et le suivi des patients.

Proposition 1

Renforcer le financement public du système de soins à partir de contributions progressives en fonction du revenu de façon à offrir de façon équitable à chacun tous les soins requis et de contribuer à la réduction des inégalités dans la société. Cette proposition repose sur le fait que le mode de financement de la santé est solide et qu’il donne à l’État des outils puissants pour adapter le système aux besoins de la population. Il serait souhaitable que le programme d’assurance médicaments soit intégré au régime universel d’assurance maladie.

Proposition 2

Mettre en place et soutenir avec beaucoup d’énergie et de cohérence le déploiement de réseaux intégrés de soins de proximité sur tout le territoire du Québec qui soient responsables de répondre aux besoins de leur population 24h sur 24h, 7 jours sur 7 et d’assurer le recours aux soins spécialisés.

Proposition 3

Faire en sorte que les médecins omnipraticiens actuellement en exercice pratiquent dans des réseaux intégrés de soins de proximité. La question de l’incorporation des médecins devrait être radicalement revue.

Proposition 4

Mobiliser les ordres professionnels, les fédérations médicales, les syndicats et les universités pour améliorer l’accessibilité, la globalité et la continuité des soins. Il faudrait s’assurer que les compétences de tous les professionnels (médecins, pharmaciens, infirmières, sages-femmes, travailleurs sociaux, autres professionnels) soient mises à contribution de façon optimale, lors de la prise en charge des patients, compte tenu des besoins et des ressources disponibles localement.

Proposition 5

Faire en sorte que les organisations et les professionnels de la santé de deuxième, troisième et quatrième ligne (CHU, centres hospitaliers, médecins spécialistes, CHSLD, ressources intermédiaires, Centres jeunesse, Centres de réadaptation), répondent en priorité aux besoins des réseaux intégrés de soins de proximité.

Proposition 6

Adapter les modes de rémunération des médecins pour les inciter à valoriser leurs responsabilités professionnelles et le travail en équipe. Il faudrait payer les médecins généralistes en fonction du temps durant lequel ils sont responsables de répondre aux besoins des patients et non plus à l’acte.

Concrètement, cela leur permet de ne pas être préoccupés par le nombre d’actes posés et par le tarif des actes, tout en valorisant leurs responsabilités professionnelles et l’intérêt de la coopération avec les autres professionnels.

Il faudrait que les niveaux de revenus des médecins, des infirmières et des autres professionnels évoluent de façon à mieux refléter leurs responsabilités dans les équipes de soins et leurs compétences. La même logique devrait s’appliquer pour les médecins spécialistes dans les structures de troisième et de quatrième ligne.

Il faudrait de plus que les responsables du réseau de la santé soient en charge de la gestion des enveloppes de rémunération des médecins, et pas les fédérations médicales.

Proposition 7

Encourager la collaboration entre les professionnels en finançant les réseaux de proximité en fonction de leurs responsabilités (financement par capitation ajustée en fonction des besoins) et en ajustant les revenus des médecins et des autres professionnels à la qualité de la prise en charge des patients de leur territoire (prime à la performance de l’équipe sur des critères d’accessibilité, de globalité, de continuité, de qualité, de prévention).

Proposition 8

Créer un organisme indépendant analogue au Commissaire à la santé et au bien-être ou au Vérificateur du Québec qui ait le mandat de rendre compte au gouvernement et à la population de la performance des réseaux de soins de proximité et du système de santé dans son ensemble en s’appuyant sur des systèmes intégrés d’information clinique et administrative.

Proposition 9

Ajuster avec les universités et les ordres professionnels la formation des médecins et des autres professionnels.

Proposition 10

Intervenir de manière coordonnée et agressive pour limiter la dispensation de soins non pertinents.

1 Entre autres : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège, la Suisse, l’Ontario, l’ensemble du Canada. En 2016, l’inquiétude au Québec est similaire à celle des Américains.

2 Institut canadien d’information sur la santé

3 Ces réseaux intégrés de soins de proximité correspondent aux centres de santé de la Commission Castonguay. Ils remplissent les mêmes fonctions que celles qui avaient été attribuées aux CLSC au moment de leur création, mais qui n’ont jamais été implantées.

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