De plus en plus de retraités en difficulté
Comme la plupart de ses collègues, Éric Lebel, syndic en insolvabilité chez Raymond Chabot Grant Thornton, constate un phénomène troublant : le surendettement frappe de plein fouet les Québécois de 55 ans et plus.
« Il y en a de plus en plus qui font faillite, constate-t-il, statistiques à l’appui. On pensait auparavant qu’à la retraite, on ne devrait plus être endetté. On n’en est plus là aujourd’hui. »
Le nombre de faillites chez les 65 ans et plus a augmenté de 131 % depuis 10 ans au Québec. Durant la même période, l’importance des clients âgés de 55 ans et plus a été multipliée par quatre chez les consommateurs insolvables qui se présentent chez Raymond Chabot Grant Thornton. De 4,6 % il y a 10 ans, ils représentent maintenant 20,6 % de la clientèle insolvable.
Le plus récent rapport trimestriel d’Equifax dresse un portrait semblable. Depuis 2011, l’endettement des 56 à 65 ans a augmenté de 28,7 % et celui des 66 ans et plus, de 47,5 %. En moyenne en 2016, excluant l’hypothèque, le consommateur âgé de 56 à 65 ans doit 21 885 $, celui de 65 ans et plus, 11 900 $.
Dommage collatéral : de plus en plus de personnes ne laissent que des dettes en héritage. Les personnes qui refusent un legs ou une succession, généralement pour cette raison, sont passées de 1384 en 1994 à 4472 en 2016.
Ainsi, « 25 % des personnes âgées n’ont pas les revenus qu’elles pensaient avoir à la retraite, note M. Lebel. T’arrives à 65 ans, t’as les mêmes dépenses, mais tes revenus baissent : tu deviens un être d’émotions, tu veux profiter de ta retraite, mais être sage demande un effort ».
Portraits de retraités
En 1996, Normand, alors âgé de 49 ans, a pris une retraite anticipée de son emploi de fonctionnaire au gouvernement du Québec. « Après un accident, je n’étais plus capable de faire le même travail, raconte-t-il. Il aurait fallu qu’ils me trouvent un autre emploi, mais ça branlait dans le manche. Ç’a finalement été une décision administrative de me permettre d’aller à la retraite. » Mais voilà, M. Ledoux constate, deux décennies plus tard, qu’il n’était pas du tout préparé financièrement à ce changement.
« Ç’a été une grosse chute de salaire, de l’ordre de 20 %, c’était toute une claque, je n’arrivais pas. » En vivant chichement, notamment parce qu’il avait trouvé une place dans une résidence pour personnes âgées à partir de 2002, il précise cependant qu’il réussissait à se tirer d’affaire, et même à économiser. Jusqu’en 2011, alors qu’il affirme s’être fait escroquer par un membre proche de sa famille qui lui avait offert de l’héberger.
« Ils m’ont volé près de 30 000 $. J’ai gagné en cour le mois dernier, mais on ne m’a redonné que 3000 $. » Sans ressources, il a rempli deux cartes de crédit, qu’il rembourse depuis à raison de 225 $ par mois.
« J’étais dans le trou, mais j’ai remonté la côte. Je paie ce que j’ai à payer et j’arrête d’y penser pour ne pas virer fou. Mais la retraite, c’était les voyages et un véhicule récréatif pour moi. Avec mon accident et mes problèmes d’argent, ça ne s’est jamais concrétisé. »
Micheline (nom fictif), aujourd’hui âgée de 60 ans, a vu sa situation financière commencer à se dégrader vers 1995. Elle devait d’abord 14 000 $ en impôts impayés et se décrit aujourd’hui comme « dépensière et négligente » à l’époque. Elle répugne à donner plus de détails.
« J’ai accumulé des dettes, j’avais de mauvaises habitudes. Ça devient stressant, on ne sait plus comment ç’a commencé. Les factures étaient payées quand ça me tentait, c’était de la procrastination. »
Paradoxalement, c’est à partir du moment où elle est partie à la retraite, en 2011, qu’elle a commencé à reprendre ses finances en main. « C’est un fardeau qui, enfin, n’est plus sur mes épaules. Quand j’ai commencé à travailler, ça n’existait pas, Interac et les paiements en ligne. Ç’a tout changé pour moi. Desjardins a un outil de gestion de budget, c’était une motivation. Et je paie tout par carte de crédit, même si beaucoup le déconseillent : ça me permet de retracer mes dépenses et de ramasser des points. »
Jacques (nom fictif), 61 ans, est un retraité de la fonction publique fédérale depuis un an et demi. Il a dû s’adapter à une baisse de revenus qu’il évalue à 30 %, mais a constaté du même coup que les dépenses étaient également à la baisse. « Il y a beaucoup de dépenses liées au travail. Disons que maintenant, je m’habille plus souvent en jeans. J’ai une Honda Accord depuis sept ans, elle est payée. Mon véhicule précédent aussi avait été payé comptant. »
Il estime que l’influence bénéfique de son père lui a été d’un précieux secours. « Il faut accepter qu’il y ait des choses que tu ne peux plus te permettre. Tu sais que ça va te permettre de rester libre. » Il se décrit comme « le gars un peu bizarre » à son ancien lieu de travail, lui qui n’avait ni ordinateur à la maison ni téléphone cellulaire personnel. « Je suis arrivé à la retraite avec zéro dette. Mon père, qui est décédé l’an dernier, me disait que c’était ça, la vraie retraite. Tu ne peux pas avoir tout ce que tu veux au moment où tu le veux. Il y a deux ans, je me suis acheté un matelas à mon goût, je l’ai payé comptant. À l’épicerie, je fais deux ou trois endroits pour comparer les prix. C’est un art de vivre. »