Pour augmenter le nombre de Québécois qui ont un médecin de famille, une des solutions mises en œuvre par le ministre de la Santé et des Services sociaux a été de forcer les nouveaux omnipraticiens qui travaillent dans les urgences à consacrer aussi une partie de leur temps à la pratique de la médecine familiale et à la prise en charge de patients.
On ne peut évidemment pas contester l’objectif, qui est de porter à 85 % la part de la population qui a son médecin de famille.
Mais ce qui devait arriver arriva. Comme 80 % des médecins qui travaillent dans les urgences sont des généralistes, le fait de commencer à les redéployer vers les cliniques crée un autre problème, cette fois-ci dans les urgences. C’est ce qu’a montré ma collègue Ariane Lacoursière la semaine dernière dans un article où elle décrit l’impact de cette baisse des effectifs médicaux sur les urgences et sur la charge des urgentologues spécialistes.
On pourrait être tentés de dire, en reprenant l’expression populaire, qu’on a déshabillé Pierre pour habiller Paul. Mais c’est un peu plus compliqué que cela, parce qu’il n’est pas du tout évident que Paul sera bien habillé.
Les jeunes omnipraticiens qui s’orientent vers une pratique hospitalière devront avoir 500 patients inscrits à leur nom pour pratiquer dans un hôpital. Ceux qui ont fait une année supplémentaire de résidence pour pratiquer à l’urgence devront quant à eux prendre 250 patients en charge. Sur papier, tout va bien. Cela réduira la liste des gens en attente d’un médecin de famille.
Mais en fait, ce qu’on crée, ce sont des médecins de famille à temps très partiel. Selon les normes, la prise en charge de 500 patients équivaut en moyenne à une charge de 12 heures par semaine.
On se retrouve donc avec des médecins qui se joindront à un cabinet ou à une clinique pour une grosse journée de travail, et peut-être une autre demi-journée.
Dans un cadre de pratique traditionnel, cela comblera certains besoins des patients qui, actuellement, n’ont pas de médecin de famille, par exemple pour le classique examen médical annuel. C’est parfait si vous n’êtes pas malades. Mais si votre médecin à temps partiel travaille en cabinet le mercredi, qu’arrive-t-il si vous avez un problème un autre jour que le mercredi ?
Cette question va se poser de plus en plus, parce qu’un nombre croissant de cliniques médicales transforment radicalement leur façon de gérer les rendez-vous avec l’approche de l’advanced acces, traduit en français par « accès adapté ». Cette méthode introduit de la souplesse dans les agendas des médecins qui étaient habituellement remplis des mois à l’avance. Avec cette nouvelle approche, on délaisse les rendez-vous automatiques pour libérer des cases horaires, ce qui permet de voir beaucoup plus rapidement les patients quand ceux-ci ont un besoin.
Je reviens à ma question. Et si vous êtes malades un autre jour que le mercredi ? Vous ne pourrez pas voir votre médecin. Vous pourrez aller au « sans rendez-vous », ou encore, parce que les groupes de médecine familiale travaillent en équipe, vous verrez un de ses collègues. Mais ce n’est pas la même chose. Ce qu’on vous garantit, ce n’est pas vraiment un accès à votre médecin de famille, mais plutôt l’accès aux services d’une clinique.
C’est donc une solution imparfaite et partielle, où l’on retrouve plusieurs éléments caractéristiques de l’approche du ministre Gaétan Barrette.
D’abord, une approche statistique, une logique de règles de trois qui paraît bien sur papier (multiplier un nombre d’heures/docteur par un nombre de patients/heure), et qui permettra de dire que les objectifs sont atteints.
Ensuite, une conception mécanique de la médecine générale que le ministre a exprimée tout au long de sa carrière, où l’omnipraticien est un tâcheron dont la contribution se mesure en heures et en nombre d’actes. Une sorte d’ouvrier sur une chaîne de montage, un pion interchangeable que l’on peut déplacer d’une fonction à l’autre. Un bon urgentologue, formé pour cela, n’est pas nécessairement un bon médecin de famille. Et à l’inverse, sa présence forcée dans une clinique ne fera pas nécessairement de lui un membre à part entière d’une équipe.
Enfin, une approche quantitative, qui repose sur le volume plutôt que sur la qualité, que l’on retrouve également dans les super-cliniques qu’il veut déployer. Elles seront utiles, grâce à leurs heures d’ouverture, mais elles reposent plus sur une logique de médecine sans rendez-vous. Et ce qui risque d’être affaibli, c’est quelque chose d’essentiel : la relation médecin-patient.