Qui ne se souvient pas de cet épisode coloré de la vie politique québécoise où la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, s’était vantée d’avoir mis en réserve, dans sa fameuse « sacoche », les quelques surplus budgétaires des années précédentes ?
Nous étions alors en 2008 et ces surplus lui permettaient d’affronter une situation imprévue, soit une crise financière internationale majeure qui allait malmener notre économie et entraîner une diminution des revenus gouvernementaux. Nous pouvions tous alors nous féliciter que le gouvernement ait eu la prudence de créer une telle réserve de stabilisation budgétaire.
Malheureusement, si les deux milliards de dollars de la « sacoche » ont permis de couvrir un déficit opérationnel en 2008-2009, ce ne fut pas le cas les années suivantes. Une récession économique de cette ampleur ne se résorbe pas du jour au lendemain et les finances publiques en souffrent pendant quelques années. Ainsi, les déficits courants du gouvernement du Québec ont été de 13 milliards de dollars de 2008-2009 à 2013-2014.
La plupart des spécialistes des finances publiques disent qu’il faut se prémunir contre des circonstances hors de notre contrôle, des chocs externes, qui risquent de déséquilibrer les comptes publics. Ces situations entraînent des conséquences fâcheuses pour les citoyens : contrôle plus serré des dépenses publiques et hausse des prélèvements.
On recommande de profiter des années de croissance pour dégager et accumuler des surplus qui serviront à compenser les déficits des années de récession.
Dans tous les cas, cependant, cette réserve ne doit pas être assimilée à un fonds discrétionnaire que le gouvernement peut utiliser comme bon lui semble. Elle doit servir à absorber les chocs externes non prévus et à faire face aux situations difficiles qui ne manqueront pas d’arriver. Malheureusement, l’actuel ministre des Finances, Carlos Leitão, a choisi de piger dans la réserve pour financer des diminutions d’impôt et des investissements dans les services publics. La réserve fondera donc de 4,5 milliards à 1,8 milliard de dollars d’ici 2020.
Il n’y a pas de réponse claire à cette question. D’une part, l’état des finances publiques peut empêcher qu’on y contribue beaucoup et, d’autre part, vouloir tout couvrir mènerait à surtaxer les citoyens pour des bénéfices incertains. C’est donc une affaire d’appréciation.
Pour ma part, j’estime qu’une réserve de l’ordre de cinq milliards de dollars serait raisonnable et qu’une fois ce niveau atteint, les surplus gouvernementaux devraient servir à alléger l’effort fiscal des Québécois, à améliorer les services publics et à diminuer la dette.
Or, on a choisi de diminuer la réserve immédiatement et on prétend qu’un montant de 1,8 milliard sera suffisant pour faire face à l’imprévu. Ce sera peut-être vrai pour un choc mineur et limité dans le temps, mais certainement pas pour quelque chose de plus grave.
Manifestement, le ministre des Finances a décidé que la prochaine récession serait de faible ampleur et passerait rapidement.
Pourtant, l’exemple de la sacoche de Mme Jérôme-Forget et l’examen des récentes récessions auraient dû être un frein à l’optimisme de M. Leitão – un optimisme, d’ailleurs, auquel il ne nous avait pas habitués.
Même si le Québec enregistre des surplus budgétaires, ceux-ci ne sont pas acquis définitivement. Compte tenu de sa dette, de son niveau d’effort fiscal, du vieillissement de sa population et de sa productivité insuffisante, la province reste dans un état de vulnérabilité structurelle, plus susceptible que d’autres États d’être fortement affecté par les soubresauts de l’économie et de retomber dans les déficits.
L’utilisation annoncée de la réserve de stabilisation pour couvrir des dépenses planifiées n’est pas conforme à l’esprit de prudence qui a justifié sa création. En diminuant notre capacité de faire face à des circonstances difficiles, on nous met en situation de devoir subir encore une fois les politiques de rigueur qui caractérisent le retour à l’équilibre budgétaire.
Il faut mettre fin à l’alternance des coups de frein et d’accélérateur dans la gestion des fonds publics et procéder de manière plus égale, plus prévisible. C’est justement ce à quoi doit servir une réserve de stabilisation d’un niveau adéquat