Les locataires âgés de la résidence Mont-Carmel, située au centre-ville de Montréal, ont essuyé un revers devant la Cour d’appel du Québec, qui a acquiescé à une requête du propriétaire, Henry Zavriyev, en ramenant ce dossier devant le Tribunal administratif du logement (TAL). Une décision qui déçoit les résidents concernés, qui n’entendent toutefois pas baisser les bras.
Dans une décision rendue mardi, la Cour d’appel du Québec a déterminé que le TAL a la « compétence exclusive » pour entendre le dossier des locataires de la résidence Mont-Carmel qui s’opposent au changement d’affectation de la résidence privée pour aînés (RPA) dans laquelle ils demeurent depuis des années. Le tribunal a ainsi donné raison au propriétaire des lieux, le jeune investisseur Henry Zavriyev, qui avait porté en appel un jugement de la Cour supérieure rendu à la fin octobre dans lequel le tribunal se disait compétent pour analyser ce dossier sur le fond.
« On ne s’attendait pas à cette décision-là », relève la résidente Marie-Paule Lebel. Les locataires unis dans cette saga judiciaire se sont rencontrés mercredi matin pour faire le point, au lendemain de cette décision de la Cour d’appel qui en a déçu plus d’un. « Mais le moral des troupes est là. On continue ! Il n’y a rien qui va nous empêcher de continuer », assure-t-elle. « C’est une cause qui regarde tous les aînés du Québec, donc il faut continuer de la porter », souligne la locataire, dans le contexte où de nombreuses RPA ont changé de vocation dans la province au cours des dernières années.
Une vocation à conserver
Au coeur de cette affaire se trouve une clause inscrite dans l’acte de vente signé par Henry Zavriyev en décembre 2021, lorsqu’il a acquis cette RPA de 216 logements située sur le boulevard René-Lévesque Est pour la somme de 40 millions de dollars. L’acte notarié mentionnait que la vocation du bâtiment devait être conservée après la vente.
Or, en janvier 2022, les locataires, âgés de plus de 65 ans, ont tous reçu un avis mentionnant que le bâtiment perdrait sa vocation de RPA à partir du 1er août de la même année pour devenir un complexe locatif traditionnel. Les résidents qui décideraient de demeurer en place verraient alors leur loyer augmenter de 3 %, en plus de perdre l’accès à plusieurs services, comme la présence d’un « bouton de panique » dans les chambres et d’une infirmière auxiliaire en tout temps.
S’accrochant à l’inscription à l’acte de vente du bâtiment selon lequel la vocation de RPA doit être conservée, 57 résidents, certains âgés de plus de 80 ans, se sont unis en avril 2022 pour contester leur dossier devant la Cour supérieure du Québec, avec l’aide de deux avocats spécialisés en droit du logement. Un de ceux-ci, Julien Delangie, a précisé au Devoir mercredi que les résidents avaient fait le choix de se tourner vers ce tribunal — plutôt que vers le TAL — puisque c’est un acte de vente qui est au coeur du dossier.
Le TAL a plutôt juridiction sur les dossiers ayant trait aux baux locatifs, ont fait valoir les avocats des résidents, dont la position a reçu un accueil favorable l’an dernier du juge de la Cour supérieure Charles Bienvenu. Les résidents de Mont-Carmel ont également obtenu une ordonnance de sauvegarde l’an dernier qui leur permet de conserver leur logement et le statut de RPA du bâtiment le temps que le dossier soit tranché sur le fond par un juge.
« La cause est la même »
Les trois juges de la Cour d’appel du Québec qui se sont penchés sur le dossier plus tôt cette année, à la demande de l’investisseur Henry Zavriyev, en ont toutefois développé une analyse différente. Ils ont ainsi conclu que cette cause portait en fin de compte sur le changement d’affectation d’un bâtiment locatif, ce qui relève d’une « compétence exclusive » du TAL. « Le TAL est donc en l’espèce la seule instance juridictionnelle qui puisse être saisie du différend entre les parties et répondre aux questions de droit et de fait qu’il soulève », a indiqué la Cour d’appel.
Quoi qu’il en soit, la volonté de résidents comme Normand Breault de continuer cette lutte reste vive. « La cause est la même. Il s’agit de sauver Mont-Carmel et, par nos actions, de sauver les autres personnes aînées », lance le locataire de 82 ans. Ce dernier déplore que « la législation actuelle est telle que n’importe qui peut faire n’importe quoi au détriment des personnes âgées qui sont bénéficiaires » des RPA.
Les locataires réclament aussi des ordonnances de sauvegarde et des dommages et intérêts à Henry Zavriyev dans le cadre d’un autre dossier judiciaire, qui, lui, demeure entre les mains de la Cour supérieure.
Une « victoire gratifiante »
Par voie de communiqué, Henry Zavriyev a dit se réjouir de cette décision — qu’il qualifie de « victoire gratifiante » — tout en déplorant que ce dossier se retrouve toujours devant les tribunaux. « Il est dommage que nous ayons perdu tout ce temps pour revenir au point où nous aurions dû débuter », ajoute-t-il dans sa déclaration écrite.
Joint par Le Devoir, l’investisseur immobilier, qui a acquis depuis 2017 avec ses partenaires une quarantaine de bâtiments situés dans une dizaine d’arrondissements de la métropole, n’a pas caché son agacement devant l’étirement de cette cause devant les tribunaux. « Je voudrais que le dossier se conclue au plus vite », a lancé M. Zavriyev. Quant à l’avenir de la résidence Mont-Carmel, il « respectera la décision judiciaire » qui sera rendue à terme pour clore cette saga, assure-t-il. « Peu importe ce que la Cour décide, je vais le respecter. »