Le 28 janvier dernier avait lieu un grand débat « Qui profite de la réforme en santé? ». Plus de cent personnes de différents milieux (chercheurs, universitaires, gestionnaires et personnel de la santé, du communautaire, citoyens) s’étaient déplacées pour analyser ensemble la réforme Barrette, des gens plus qu’inquiets de ce que notre réseau public de SSS est en train de subir.
Pendant l’avant-midi, plusieurs ont témoigné des impacts de cette réforme. Un représentant du Réseau d’échange des comités des usagers du Québec (RÉCUQ), a expliqué que la fusion d’établissements à mandats très différents (hôpitaux, CHSLD, centres jeunesse, réadaptation, déficience intellectuelle, etc.) rend la tâche de représentation très difficile. Même si les comités des usagers et résidents des établissements fusionnés ont continué d’exister, une seule personne les représente tous au C.A. du CISSS/CIUSSS, une personne bénévole de surcroît, qui doit faire valoir des réalités et des besoins si différents, nécessitant des connaissances aussi variées, sur un territoire géographique aussi vaste. Même avec la meilleure volonté du monde, ce n’est ni sérieux ni réaliste : ce n’est qu’un simulacre de démocratie.
Une gestionnaire a expliqué que depuis la mise en place de la réforme, ses pairs et elles ne décident plus de rien. Leur rôle est d’appliquer les décisions qui sont prises au-dessus d’eux, et qu’ils n’ont aucun moyen de vérifier ou d’évaluer les résultats ou impacts de ces décisions.
(J’ai cherché la définition du verbe «appliquer» dans le dictionnaire. J’ai trouvé: «Poser, mettre sur, contre une chose, en exerçant une pression de manière à laisser une empreinte»… Difficile de trouver une image plus pertinente pour résumer les effets sur le terrain et sur le personnel.)
Quand on s’occupe des personnes à la hâte et sans soin, on ne soigne plus.
Une autre a rappelé les déclarations du ministre à propos de la réduction du personnel-cadre. En fait, il s’agissait de gens d’expérience, tant chez les gestionnaires que chez le personnel des soins et services, qui ont préféré la retraite à faire un travail bâclé, pouvant aller à l’encontre de leur code d’éthique. Quand on s’occupe des personnes à la hâte et sans soin, on ne soigne plus.
Une citoyenne est venue dire qu’elle avait eu de la difficulté à assister aux rencontres du C.A. de son CISSS, l’information (date, lieu, heure, ordre du jour) n’étant pas facilement accessible. Elle se souvenait qu’auparavant, plusieurs personnes assistaient aux réunions et parfois posaient des questions ou demandaient des comptes aux membres du C.A. Mais les rencontres se déroulent maintenant à 14h, ce qui ne facilite pas la participation citoyenne, mais facilite assurément le travail du C.A. qui n’est plus dérangé par la population dont il devrait pourtant se préoccuper.
Le maire d’Amqui, par visioconférence, a parlé avec cœur du mécontentement de sa région devant cette réforme insensée, et d’un Forum citoyen qu’ils organisent le 18 mars pour en débattre largement et y répondre.
Dans l’après-midi, des ateliers de discussions ont formulé des propositions visant l’action collective citoyenne, et la journée s’est terminée par l’élection d’un comité qui fera le suivi de tout ce qui s’est dit et proposé.
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Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) m’avait appelé alors que la commission parlementaire sur le projet de loi 10 battait son plein. Il ne comprenait pas pourquoi la Coalition n’était pas d’accord avec l’intention du ministre de réformer la gouvernance des nouveaux établissements, en y nommant des «spécialistes indépendants» à la place de représentants de la population.
Il m’avait expliqué que pour l’IGOPP, il était irresponsable que des gens sur un CA n’aient aucune compétence en gestion et administration alors qu’ils ont à gérer des millions de dollars. Je lui avais répondu que les gens qui représentent la population sur les CA n’étaient pas là pour leur compétence en gestion : ils étaient là en raison de leurs connaissances du milieu et des gens, des problèmes vécus par la population, pour dire si les soins et services répondaient à leurs besoins, et savoir comment s’adapter pour mieux y répondre. C’était leur compétence en «population à rejoindre » qui était sollicitée, afin que les soins et services soient le plus adaptés possible à cette population et, conséquemment, jouent leur rôle efficacement.
La Loi sur les services de santé et les services sociaux est pourtant claire à ce niveau. L’article 2 dit:
« Afin de permettre la réalisation de ces objectifs, la présente loi établit un mode d’organisation des ressources humaines, matérielles et financières destinées à:
1° assurer la participation des personnes et des groupes qu’elles forment au choix des orientations, à l’instauration, à l’amélioration, au développement et à l’administration des services;
2° favoriser la participation de tous les intervenants des différents secteurs d’activité de la vie collective dont l’action peut avoir un impact sur la santé et le bien-être;
3° partager les responsabilités entre les organismes publics, les organismes communautaires et les autres intervenants du domaine de la santé et des services sociaux;
4° rendre accessibles des services continus de façon à répondre aux besoins des individus, des familles et des groupes aux plans physique, psychique et social;
5° tenir compte des particularités géographiques, linguistiques, socio-culturelles, ethno-culturelles et socio-économiques des régions;
[…]
9° assurer la participation des ressources humaines des établissements visés au titre I de la partie II au choix des orientations de ces établissements et à la détermination de leurs priorités; […] »
La Loi sur le ministère de la santé et des services sociaux, quant à elle, dit à l’article 3 :
« Le ministre doit plus particulièrement: […]
f) promouvoir la participation des individus et des groupes à la détermination des moyens de satisfaire leurs besoins dans le domaine de la santé et des services sociaux;
g) consulter les individus et les groupes sur l’établissement des politiques du ministère de la Santé et des Services sociaux;
h) promouvoir le développement et la mise en oeuvre de programmes et de services en fonction des besoins des individus, des familles et des autres groupes; […] »
Totalement à l’encontre de ce que fait le ministre Barrette depuis son arrivée.
On peut comprendre qu’un radiologiste qui a été président de la Fédération des médecins spécialistes avant de devenir ministre de la SSS, ainsi que l’IGOPP, dont le C.A. est formé de gens d’affaires comme Stephen Jarislowsky, 28e milliardaire au Canada, ne soit pas très familier avec le concept de démocratie.
Puisqu’ils veulent se mêler de santé, nous aimerions améliorer leur compétence dans le domaine en leur rappelant, mieux encore, en leur apprenant qu’en santé mentale, on explique que la dépression est une perte de pouvoir sur sa vie.
Et qu’à ce compte, la démocratie, c’est une question de santé!