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La dure épreuve de mourir (en silence) à l’hôpital

Michelle Bourassa n’est pas la seule à avoir sur le cœur les déplorables circonstances du décès de sa mère et à se buter au manque d’humanité dans les hôpitaux. C’est pourtant tout un tabou. 

JOSÉE BOILEAU, L’ACTUALITÉ

es excuses du gouvernement du Québec ont rapidement suivi lorsqu’on a appris, vendredi dernier, dans quelles dures conditions Andrée Simard, veuve de l’ancien premier ministre Robert Bourassa, était décédée.

Ce jour-là dans La Presse, sa fille, Michelle Bourassa, signait un long texte pour exprimer son indignation devant le traitement auquel sa mère a eu droit à l’hôpital St. Mary. Non seulement elle s’est vu refuser l’accès à l’unité de soins palliatifs, mais elle n’a pu obtenir les soins de confort continus qui assurent une mort en douceur.

Mme Simard a plutôt dû endurer trois jours de souffrances, sans même bénéficier d’une chambre individuelle. D’autres éléments ont ajouté à la détresse de la mourante et au désarroi de son entourage, ce que Michelle Bourassa détaillait dans son texte. Et elle concluait : « J’espère vraiment que mon cas est isolé. »

De fait, la réaction de Québec pouvait laisser croire qu’il s’agissait là d’un malheureux faux pas lié à la manière d’administrer des soins. Sonia Bélanger, ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, a aussitôt demandé que les pratiques de l’hôpital St. Mary en matière de fin de vie soient revues. Comme si tout devait être ramené à un hôpital fautif.

J’ai pour ma part eu une tout autre réaction en lisant les propos de Michelle Bourassa. J’ai été particulièrement interpellée par sa description de l’insensibilité du personnel, de l’absence du médecin, de l’indifférence envers la famille.

Et surtout de l’intolérance quand elle a tenté de se faire entendre : « menaces de m’évincer, propos intimidants, accusations de racisme », énonce-t-elle. Que faire alors ? « Je décide de me taire pour éviter le pire. »

J’ai pensé « encore ».

« Encore », parce qu’il nous est arrivé plus d’une fois, durant les années où ma mère a fait des allers-retours aux urgences et de longs séjours dans différents hôpitaux (mais pas St. Mary !), de nous buter au manque d’humanité. Comme si le patient n’était qu’un objet à déplacer et ses proches, un obstacle dans le chemin.

Et malheur à ceux qui protestent quand ils sont ainsi traités ! S’ils sont polis, on ne les écoute pas ; s’ils lèvent un tantinet le ton, ils se font accuser d’intimidation. Or, la dernière chose que l’on souhaite pour son proche malade, c’est qu’il soit encore plus pénalisé qu’il ne l’est déjà.

J’ai notamment en tête ce long passage aux urgences où la civière de ma mère, âgée et très affaiblie, avait été installée à côté des portes battantes où circulait le personnel. Elles s’ouvraient et se fermaient constamment, dans un mouvement si bruyant — tout le monde fonçait dedans — qu’après des heures de ce régime, j’ai osé demander que ma mère soit déplacée afin qu’elle ait un peu de répit.

Ma demande fut très mal accueillie. J’ai néanmoins insisté et j’ai eu gain de cause… pour ensuite faire face à l’hostilité de la docteure en fonction. Je n’ai plus rien osé dire du reste du « séjour », de crainte que ma mère ne soit oubliée dans les limbes des urgences. Elle en est sortie totalement épuisée.

La lettre de Michelle Bourassa m’a ramenée aussi à un autre texte publié un an plus tôt, en novembre 2021, également dans La Presse : elle était signée de son ancien éditorialiste, l’ex-sénateur André Pratte.

Il relatait le décès de sa mère, survenu dans des conditions tout aussi indignes que celles traversées par Andrée Simard. Un cas particulier ? Non, car comme l’écrivait André Pratte : « Le système de santé […] s’est occupé d’elle comme on s’occupe trop souvent des vieillards mourants, soit avec la plus parfaite indifférence. »

Sont en cause les protocoles ultra-rigides tout comme le nombre de médecins, infirmières et préposés « absents et froids ». Un comportement que le surcroît de travail ne devrait pas justifier, notait-il.

De fait, pour le patient comme pour son entourage, il est absolument désarçonnant de découvrir une telle attitude, surtout quand on est plongé dans des moments aussi tragiques qu’une maladie grave ou une fin de vie.

Mais quel tabou ! On ne cesse d’entendre parler des anges gardiens du réseau de la santé : certes, il n’en manque pas, mais ce n’est pas la règle, et on le dit trop peu.

On me répondra : pénurie de main-d’œuvre, TSO, bureaucratie, épuisement, complexité des cas, vieillissement de la population qui ajoute à l’encombrement du système… En résumé, tout le monde est « à boutte ».

Sauf que les médecins ont leurs fédérations pour faire pression sur le gouvernement ; les membres du personnel ont des syndicats pour amener leurs griefs dans l’espace public. On les entend revendiquer, dénoncer, manifester, participer aux émissions d’affaires publiques et négocier.

Les malades et leurs proches ne peuvent pas faire de sit-in. Ils n’ont même pas le droit de s’impatienter devant des situations intenables : ils se font vite rappeler à l’ordre, et l’ordre, c’est d’endurer en silence ! C’est même placardé sur les murs des hôpitaux.

À la rigueur feront-ils l’objet d’un reportage si leur cas de mauvaise prise en charge est spectaculaire : se retrouver allongé par terre aux urgences (ciel, on est vraiment rendus là !) ou être attaquée par un voisin de lit dans sa chambre d’hôpital, deux exemples que nous a fournis récemment l’actualité.

Mais la petite violence ordinaire ne défraie pas la chronique ; pas plus d’ailleurs que l’enclenchement du lourd processus d’une plainte formelle prévu dans le système hospitalier.

Bien des situations brisent quand même le cœur. Un parent qui se tord de douleur et que personne, en dépit des appels, ne vient soulager. Des employés qui entrent dans la chambre d’une mourante en rigolant. L’attente de la mort alors que le co-chambreur écoute la télé, sans qu’un lieu pour s’isoler soit offert, quand il n’est pas carrément refusé.

Sans oublier la difficulté de simplement avoir de l’information. Seul le médecin peut faire des comptes rendus, mais s’il fait sa tournée aux aurores et ne rappelle pas les proches, vers qui alors se tourner ?

C’est là qu’on mesure à quel point l’humanité n’est pas si complexe à appliquer. Il suffit d’une infirmière qui — chut, faut pas le dire ! — ouvre le dossier du malade pour communiquer ce qui y est inscrit ; on n’en demandait pas plus, merci !

Ils sont là, les anges : ce sont celles et ceux qui osent défier les normes, faisant des brèches dans l’univers technocratique qu’est devenue la santé. Cette résistance-là est rare. Elle devrait pourtant être cultivée, en toute solidarité avec les patients.

Source: L’actualité

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