La chronique de Jacques Benoit de la Coalition solidarité santé, 10 décembre 2018
Ça discutait fort à l’émission de radio : est-ce que le privé est une bonne chose en Santé et Services sociaux (SSS) ? J’écoutais les arguments. L’un disait que notre système public était peut-être « ben bon », mais son problème, c’est qu’il ne répondait pas à temps aux besoins des gens.
Les maudites listes d’attente, partout, tout le temps, disait l’autre. C’est pour ça que les gens se tournent vers le privé : ça les force à chercher ailleurs.
Et l’autre de conclure : si le privé existe et se développe, c’est parce que le public n’est pas assez performant. Performant ?… Ce n’est pas une question de performance: c’est une question d’objectif : répondre aux besoins, puis des ressources nécessaires en quantité et en qualité, et d’organisation des soins et services pour y arriver.
L’objectif, c’est ce qui détermine tout le reste. On peut maximiser toutes les ressources que l’on a et être plus performant que n’importe qui d’autre, si l’objectif n’est pas avant tout de répondre aux besoins, on n’y répondra pas. Ça n’a rien voir avec la performance.
Prenons l’exemple des États-Unis, le champion du privé en santé : il y a quelques années, une enquête longitudinale avait montré qu’on y meurt dans les hôpitaux privés plus que dans le public. La raison est simple: l’objectif du privé n’est pas de répondre aux besoins, c’est le profit. Pour faire des profits, on n’utilise pas, ou on retarde le plus longtemps possible l’utilisation, du meilleur médicament (trop cher), ou du personnel le plus compétent (trop cher) ou du meilleur soin, de la chirurgie la plus adéquate ou du meilleur service (trop chers), avec comme effet que les gens qui ont payé le gros prix n’en ont pas en retour pour leur argent, et y laissent leur vie.
Évidemment, le fait que les hôpitaux privés soient la propriété des compagnies d’assurances facilite cette façon de faire: les gens paient un maximum en assurance qui, en retour, leur donne le minimum en soins et services, et la différence va aux propriétaires/actionnaires de la compagnie. Et plus la différence est grande, plus ils sont performants !
Voilà pourquoi un système public est la meilleure assurance de soins et services.
Au Québec, notre système public de SSS a toujours été performant. Sans être parfait, il répondait plutôt adéquatement aux besoins de la population, jusqu’à ce que nos gouvernements successifs, du milieu des années ’90 à aujourd’hui, en aient réduit l’accès en affaiblissant ses ressources et son organisation, et en déconsidérant son personnel.
Les travailleuses et travailleurs du réseau ont tenté au cours des années de pallier les manques. Tous les gens le disent :une fois rentré dans le système, on a de bons soins, mais le problème, c’est l’accès !
Cependant, aucun athlète ne pourrait courir un marathon à la vitesse d’un sprinter: il tomberait épuisé bien avant le fil d’arrivée. C’est pourtant ce qu’on a exigé des divers personnels de soins et services: courir de plus en plus, faire toujours MON OEIL!…. plus avec moins, accomplir les mêmes soins et services, mais en moins de temps, avec toujours plus de patient.e.s, être plus performant que n’importe où ailleurs.
Pour ce faire, on a appliqué sur eux des méthodes de gestion privée, industrielle. On a évalué tout ce que font les employé.e.s qui effectuent les soins et services: tous les gestes, les actes, le matériel utilisé, l’espace consacré, pour ensuite en réduire la quantité, la durée, et en augmenter la densité, la rapidité, la répétition, etc. On appelle ça le lean management ou le toyotisme (dont le nom origine des usines japonaises Toyota).
On a transformé de plus en plus les soins et services à la population pour les uniformiser, comme si tous les individus étaient pareils, comme si chaque personne avait la même condition physique, psychique, sociale. On en a fait des statistiques permettant de déterminer des groupes repères auxquels chaque personne doit appartenir et, conséquemment, un même diagnostic peut être posé et un même soin-service attribué, en quantité et en qualité. Plus besoin du jugement professionnel, on va bientôt le remplacer par de l’intelligence artificielle.
À court terme, ça peut donner l’impression d’améliorer la performance (plus de services, de belles statistiques), mais ça ne répond pas aux besoins des personnes qui devront chercher réponse ailleurs ou s’en passer. Sans compter que tout ça, à moyen et long terme, ça rend le personnel malade, physiquement et mentalement, entraînant une augmentation des congés de maladie dans le réseau public SSS.
Les travailleuses et travailleurs ne tombent pas malades pour rien. Même là, on ne les laisse pas tranquilles.
Cette performance, qui est fondamentalement liée à la notion de profit, c’est ce que Charlie Chaplin dénonçait déjà en 1936 dans son film « Les temps modernes ».
La performance n’est pas l’objectif d’un système public de SSS. Son objectif est de prendre soin de la population.
Et pour ça, il faut prendre soin des personnes qui y travaillent et qui soignent.
Avant qu’on en soit toutes et tous malades.