Le 31 janvier dernier, nous, les locataires de la résidence pour aînés (RPA) Mont-Carmel, recevions un avis d’éviction du nouveau propriétaire, Henry Zavriyev, bien connu pour ses pratiques abusives. Depuis, nous nous battons sans relâche contre la violence de cette procédure, non seulement pour la défense et le respect de nos droits, mais aussi pour les droits de toutes les personnes aînées vivant en RPA au Québec.
SUZANNE LOISELLE, LE DEVOIR
Nous dénonçons la conversion tous azimuts de notre résidence et de tant d’autres qui subissent le même sort. Notre lutte a pris diverses formes. Des moyens tant médiatiques que politiques et juridiques ont été privilégiés pour que Mont-Carmel garde son statut de RPA, comme stipulé dans l’acte de vente notarié. L’ordonnance prononcée le 26 juillet dernier par la Cour supérieure a constitué une première victoire particulièrement significative. Celle-ci ordonnait au propriétaire de prendre les mesures nécessaires pour maintenir la certification et l’exploitation de la Résidence Mont-Carmel à titre de RPA.
Pour ce faire, il devait agir en conformité avec les dispositions du Règlement sur la certification des résidences pour aînés et de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), et ce, jusqu’au 19 septembre prochain, soit au moment où nous retournerons en cour pour débattre du fond du litige. Encore faut-il que la RPA existe encore à ce moment. Or, ce qui la caractérise disparaît de façon progressive !
En effet, dès les jours suivant l’ordonnance, plusieurs de ses obligations n’étaient pas observées, à commencer par l’accélération de la location à des personnes âgées de moins de 65 ans, à tel point que la RPA n’est plus occupée principalement par des personnes aînées, alors que ce devrait être la règle. En contravention de cette ordonnance, des faits troublants s’accumulent. De larges plages horaires sont laissées sans réceptionniste, ce qui compromet la sécurité des lieux.
Le défaut généralisé d’entretien suscite des craintes sur le plan de la salubrité et a notamment entraîné la fermeture récurrente de la piscine. La disparition d’ameublement dans les espaces communs, comme les couloirs et le salon de la télévision, ainsi que la fermeture du dépanneur et du salon de coiffure altèrent autant la sécurité que la qualité de vie.
Des travaux de rénovation ont même débuté, ce qui ne peut être compatible avec une ordonnance de sauvegarder le lieu dans l’état. Ces travaux risquent d’occasionner la fermeture de la salle communautaire, laquelle est essentielle aux rencontres et activités sociales des locataires. Plus troublant encore, des gestionnaires incitent à nouveau des résidents à quitter la RPA, ce que plusieurs ont déjà fait au cours des derniers mois, malgré leur désir de rester.
Un mal répandu
Face à tant d’intimidation, de harcèlement et de non-respect de l’ordonnance de la Cour supérieure, nous avons mis en demeure le propriétaire, mais celui-ci a continué ses actions qui affectent tant notre bien-être au quotidien.
Estimant que notre lutte s’inscrivait dans une perspective beaucoup plus large que la sauvegarde de notre RPA, nous avons lancé une pétition demandant au gouvernement d’agir sur la globalité du problème. Signée par 6671 personnes, elle a été déposée à l’Assemblée nationale en mai dernier par la députée Manon Massé. Les demandes formulées sont toujours aussi nécessaires et urgentes pour les locataires de toutes les RPA. Il s’agit d’empêcher les RPA de se libérer si facilement de leur certification et des services à offrir, de réguler les coûts des loyers de ce type de résidence et de faciliter l’appropriation et la gestion communautaire ou publique de toute RPA à risque de fermeture.
Signe de la grande portée des enjeux soulevés, la pétition demandait aussi que le Code civil du Québec assure la protection des droits des locataires et interdise le changement d’affectation d’un immeuble à logement, à plus forte raison dans le cas d’une RPA.
Le gouvernement n’a toujours pas répondu à ces demandes ni réagi à la suite des dévoilements des problèmes que nous vivons quotidiennement. Pourtant, les leviers sont à sa portée.
Dénis de droits
Il est totalement inadmissible que des personnes aînées soient à la merci de propriétaires délinquants, comme les médias le prouvent en ce qui concerne Henry Zavriyev. Puisque le MSSS est ultimement responsable des RPA, une abondance de règles et d’étapes doit être suivie pour détenir la certification de RPA, alors qu’un propriétaire peut y mettre fin par un simple avis. Comment se fait-il que le MSSS ne soit pas responsable de la protection des droits des personnes aînées, en empêchant qu’elles perdent le milieu de vie qui assure leur santé et leur sécurité ?
Le 19 septembre, nous retournerons devant la Cour supérieure plus indignés et déterminés que jamais. Nous serons alors de nouveau accompagnés par de nombreuses personnes et organisations alliées face à notre situation et solidaires des luttes des locataires aînés de toutes les RPA du Québec.
Le premier ministre François Legault et son gouvernement devraient se sentir interpellés par la situation, les enjeux de santé et de logement en cause relevant même des responsabilités de quatre ministres. Or, rien ne se passe. À l’aube du déclenchement de la campagne électorale, quel parti s’engagera à régler la situation, autant face aux dénis de droits que nous vivons quotidiennement qu’en regard des modifications structurelles pouvant empêcher leur répétition ?