L’argent des médecins ne règle pas grand-chose

Ariane Krol

Éditorialiste, La Presse

Jouer sur la rémunération des médecins pour améliorer les services à la population ? Non seulement ça n’a pas tant d’effet que ça, mais ça génère des effets indésirables, révèlent deux enquêtes présentées lundi. Un diagnostic dont le gouvernement Couillard devrait tenir compte dans ses prochaines négociations.

Que d’eau a coulé sous les ponts !

On l’a oublié, mais la décision de commander ces deux études avait été vue comme un geste audacieux, limite séditieux, de la part du commissaire à la santé en 2014. Il avait eu beau s’assurer que les projets soient attribués de façon totalement indépendante, en confiant l’appel d’offres aux Fonds de recherche du Québec – Société et culture, les syndicats de médecins ne l’avaient pas pris. Affirmant que les résultats seraient biaisés, les deux fédérations avaient claqué la porte du comité de suivi.

Aujourd’hui, la rémunération des médecins n’est plus vue comme un sujet tabou ou réservé aux initiés. Au contraire, c’est presque devenu une obsession nationale. Non sans raison.

Cette rémunération, qui représentait déjà 15 % de nos dépenses totales en santé il y a 10 ans, en accapare maintenant 20 %.

Du point de vue des médecins, il s’agit surtout d’un rattrapage par rapport au reste du Canada. Le problème, c’est que leurs syndicats et le gouvernement ont créé de grandes attentes en promettant qu’une partie de ces sommes serviraient à améliorer l’accès. Sauf que l’accès, comme ont pu le constater les patients, n’a pas augmenté dans la même proportion que les sommes ajoutées.

La vérité, c’est que cette rémunération des médecins, sur laquelle le Québec a tant misé, est un levier bien imparfait et très limité, montrent les travaux de deux équipes de chercheurs. Et non, il n’y a pas de solution de rechange facile et rapide.

Ainsi, ceux qui rêvent de mettre les médecins à salaire pour éviter les effets pervers de la rémunération à l’acte ne trouveront pas d’argument massue dans le rapport de Jean-Louis Denis et Marie-Pascale Pomey. En général, les caractéristiques associées à chacun de ces modes se vérifient (plus de consultations lorsque les médecins sont payés à l’acte, mais des consultations plus longues lorsqu’ils sont salariés, par exemple), sauf que les différences ne sont pas si spectaculaires, notent les auteurs. Et leur analyse de plusieurs autres modèles de rémunération dans le monde le confirme : la formule miracle n’existe pas.

Par contre, l’approche privilégiée ces dernières années, soit multiplier les suppléments, forfaits, primes et autres incitatifs, mérite une sérieuse remise en question.

La vérificatrice générale l’avait déjà dénoncé il y a deux ans : Québec ne s’est jamais donné les moyens de vérifier si ces mesures incitatives améliorent vraiment l’accès. Tout un vice de conception. Pis, elles amènent des distorsions dans la pratique, ont constaté les chercheurs Damien Contandriopoulos et Astrid Brousselle en interrogeant des médecins, des experts et des firmes de facturation. Elles peuvent notamment inciter à faire des examens plus poussés que nécessaire ou à éviter certaines clientèles.

Ça n’a rien à voir avec la médecine : mettez un incitatif mal calibré dans n’importe quel domaine et vous aurez des effets indésirables. On l’a vu au centuple à Wall Street, où les critères d’attribution des primes et options ont incité des financiers à prendre des décisions payantes sur le coup, mais désastreuses à terme.

Au lieu de toujours compter sur des espèces de carottes mal taillées, on aurait intérêt à miser sur des modèles qui font appel à la responsabilisation et à la conscience professionnelle des médecins. Les modes de fonctionnement de groupe, comme les plans de pratique et les pools, où il y a une certaine mise en commun de la rémunération, ont tendance à renforcer les contrôles de la pratique clinique par les pairs, mentionnent les chercheurs Contandriopoulos et Brousselle.

Comme l’a fait remarquer avec justesse Jean-Louis Denis, « il y a un besoin de plus d’intelligence si on ne veut pas toujours être dans une équation où on achète le changement contre de l’argent – d’autant que ce n’est pas un véritable changement qu’on achète parce qu’on est dans du ponctuel ».

Mais pour cela, il faudrait une vision plus ambitieuse de notre système de santé. Pour les clientèles lourdes, par exemple, ne pas seulement récompenser l’inscription à un groupe de médecine de famille (GMF), mais le résultat du suivi – pour que ces patients soient en meilleure santé et coûtent moins cher au système. Après, seulement, on pourra se demander comment rémunérer les équipes de professionnels de la santé pour en arriver là.

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