« Le système de santé ne sera clairement pas prêt »

Demande anticipée d’aide médicale à mourir – 16 octobre – La Presse

Le gouvernement québécois a annoncé le 7 septembre que les demandes anticipées d’AMM seraient permises dans la province dès la fin d’octobre pour toute personne « ayant un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins ».

Les Québécois ayant reçu un diagnostic d’alzheimer pourront faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir (AMM) à partir du 30 octobre. Des médecins estiment que le système de santé ne sera pas prêt à faire face à l’afflux de demandes. D’autres préviennent les patients que l’AMM n’est pas « automatique ».

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme que les formulaires de demande anticipée d’aide médicale à mourir sont « prêts ». Mais les médecins et les infirmières praticiennes spécialisées (IPS), responsables de les remplir, ne les ont toujours pas en main. Ils n’ont pas encore reçu la formation conçue par l’Institut universitaire de soins palliatifs et de fin de vie Michel-Sarrazin–Université Laval.

« Jusqu’à maintenant, c’est un peu mal fagoté, cette affaire-là », dit le DPierre Viens, médecin de famille de Portneuf qui pratique l’AMM depuis huit ans. « On est un peu beaucoup inquiets de ce qui va nous tomber dessus. »

Le gouvernement québécois a annoncé le 7 septembre que les demandes anticipées d’AMM seraient permises dans la province dès la fin d’octobre pour toute personne « ayant un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins »1.

À deux semaines de l’échéance, le DMathieu Moreau, médecin de famille qui travaille en médecine palliative et offre l’AMM, estime que « certains professionnels seront probablement prêts », mais « le système ne le sera clairement pas ».

« Très peu de médecins vont se sentir à l’aise de remplir la demande avec leur patient. Il faudra les référer, mais plusieurs professionnels ne sauront probablement pas où. »

 – Le DMathieu Moreau, médecin de famille

Selon le MSSS, chaque établissement de santé « travaille à identifier » des médecins ou IPS détenant une « expertise » en AMM ou en « maladies graves et incurables menant à l’inaptitude » afin qu’ils accompagnent leurs collègues dans le traitement de ces demandes.

Le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec préparent aussi des « fiches » pour les « professionnels compétents » – termes utilisés dans la loi pour désigner les médecins et les IPS.

La rédaction, une étape « cruciale »

Le DGuy Morissette, membre du comité-conseil du MSSS sur l’aide médicale à mourir, est persuadé que le réseau de la santé sera « prêt » le 30 octobre. Il rappelle que l’intégration des demandes anticipées se fera de « façon graduelle », comme ce fut le cas pour l’AMM en décembre 2015. Il reconnaît toutefois que la formulation de la demande anticipée est « cruciale ». « C’est la rédaction du formulaire qui va témoigner de tout », dit-il.

Le médecin ou l’IPS doit inscrire dans le document les « manifestations cliniques » de la maladie jugées inacceptables par le patient et qui déclencheront le processus d’AMM.

Un « jeu d’équilibriste », selon le DMoreau. Il faudra être « assez précis, mais pas trop ». Il cite l’exemple d’un individu voulant l’AMM « lorsqu’il ne reconnaîtra plus ses proches ». « Quels proches : tous les proches ou des proches en particulier ? Ne plus connaître leur nom ? Ne plus les reconnaître tout le temps ou la majorité du temps ? », demande-t-il. Et si cet individu écrit plutôt « lorsqu’il ne reconnaîtra plus sa conjointe Hélène la majorité du temps » ? « Que se passera-t-il si Hélène meurt entre le moment de sa demande et celui de l’évaluation ? »

Pas « automatique »

Bien des Québécois se méprennent sur ce qu’est une demande anticipée d’AMM, selon des médecins consultés. « Les gens pensent qu’ils vont pouvoir, en étant en bonne santé, faire une demande anticipée [au cas où] ils développent l’alzheimer », dit le DMorissette. Un diagnostic est exigé.

Des gens croient à tort qu’une fois les manifestations cliniques présentes, l’AMM sera « automatique ». Or, d’autres critères devront être respectés, indique le DDavid Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal et commissaire à la Commission sur les soins de fin de vie.

« Il faut que le médecin ou l’IPS qui va évaluer le patient soit convaincu qu’il souffre à ce moment-là », dit-il. Le patient étant inapte, il faudra s’appuyer sur des signes non verbaux (agitation, cris, grimaces, etc.) pour déterminer s’il y a ou non souffrance physique ou psychologique.

La présidente de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, Maude Raymond, a bon espoir que les formations offertes « sous peu » éclaireront les IPS et les médecins. « On va tous vivre un grand changement le 30 octobre et ensuite, c’est la clientèle qui va être la plus gagnante. »

Et les « déments heureux » ?

Ceux qu’on appelle les « déments heureux » ont des problèmes cognitifs graves, mais ils ne le réalisent pas. Ils sont contents de recevoir de la visite, même s’ils ne la reconnaissent pas, selon le DDavid Lussier. « Ils ne pourront pas recevoir l’AMM parce qu’ils ne présentent pas de signes de souffrance », dit-il. Le DGeorges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, n’est pas du même avis. « Ce patient-là n’est plus du tout la même personne qu’il ou elle était lorsqu’il a fait sa demande anticipée », dit-il. Selon lui, il faut « respecter » le fait qu’il a fait sa demande lorsqu’il était « en pleine possession de ses moyens » et qu’il était « la personne qu’il a été toute sa vie ».1. Lisez « Aide médicale à mourir : les demandes anticipées possibles dès le 30 octobre »

Une date marquante pour Sandra Demontigny

Le 30 octobre. Une date marquante pour Sandra Demontingy, qui a fait de la demande anticipée de l’aide médicale à mourir (AMM) un combat personnel. La femme de 45 ans, qui a reçu un diagnostic d’alzheimer précoce en 2019, a bien l’intention de faire sa demande très bientôt.

« Si ce n’est pas le 30, ça va se faire dans les jours ou les semaines qui vont suivre, c’est sûr », dit, au bout du fil, la porte-parole de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité.

Sandra Demontigny habite depuis dix mois dans un condo d’une résidence privée pour aînés à Lévis. Sa maladie est à un stade « modéré ». « J’arrive quand même à fonctionner par moi-même », dit la mère de trois enfants devenus adultes. « Mais m’organiser dans le temps, c’est vraiment très difficile. Même si je me prends d’avance, je vais m’enfarger dans plein d’affaires. »

C’est le cas, par exemple, lorsqu’elle se prépare pour une sortie au cinéma. « Le chat va passer, je vais oublier ce que j’étais en train de faire, alors je vais jouer avec le chat. Et là, je ne sais plus trop ce que je fais, je vais me mettre à ranger de la vaisselle. » Lorsqu’elle cuisine, elle doit aussi souvent relire la recette pour se rappeler les étapes.

« Une étudiante et stagiaire du CLSC est venue m’aider à faire l’inventaire de ma garde-robe, parce que je ne me souviens pas de ce que j’ai dedans », poursuit-elle. Toutes ses robes ont été prises en photo et figurent maintenant sur son portable.

Des critères qui changent « un peu »

Sandra Demontigny n’a pas encore statué sur les « manifestations cliniques » qui enclencheront, dans son cas, le processus d’AMM. Elle veut en parler avec son médecin. Elle remarque que ses critères changent « un peu » au fil du temps.

Au début, dans mes critères, j’avais ‟quand je ne reconnaîtrai pas un de mes enfants”. Mais aujourd’hui, je vis quand même beaucoup d’épreuves chaque jour, puis, quand je pense à quand je ne reconnaîtrai plus mes enfants, pour moi, c’est très loin encore.

 Sandra Demontigny

« Déjà, je trouve ça, par bouts, difficile et pénible. Je ne suis pas sûre que je vais me rendre aussi loin que ça. »

Elle envisage de formuler une première demande et de la modifier au besoin par la suite – à condition, bien sûr, qu’elle soit toujours apte à consentir.

Chose certaine, elle ne veut pas vivre ce que son père – mort à 53 ans – a vécu. « Pendant les dernières semaines de sa vie, il se promenait à quatre pattes. Il fonçait dans le mur parce qu’il ne reconnaissait pas que c’était un mur. Je veux partir avant que ça arrive. »

Sandra Demontigny s’attend à un mélange d’émotions lorsqu’elle formulera sa demande anticipée. « Je pense que je vais être soulagée parce que je vais être capable de le mettre [sur papier], de le consigner et de savoir que ça va pouvoir être respecté. » Heureuse aussi pour tous les militants des demandes anticipées qui ont remporté « une belle victoire ».

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