ZACHARIE GOUDREAULT, LE DEVOIR
À l’instar des locataires du Manoir Lafontaine, un immeuble locatif du Plateau-Mont-Royal, les résidents de Mont-Carmel, sur le boulevard René-Lévesque Est, ont dû faire preuve de résilience au coeur d’une crise qui touche particulièrement les logements encore abordables de la métropole.
Située en plein coeur du centre-ville, la RPA Mont-Carmel compte 216 logements locatifs de différentes tailles. Plusieurs résidents y demeurent depuis des années, et continuent donc de payer un loyer abordable malgré cet emplacement de choix. L’acquisition de l’immeuble par le jeune investisseur Henry Zavriyev en décembre dernier a toutefois bouleversé la vie tranquille des locataires toujours présents dans le bâtiment.
Dans le mois qui a suivi cette transaction de 40 millions de dollars, l’homme d’affaires de 28 ans, qui a confié la gestion de cet immeuble au Groupe LRM, a fait savoir à ses locataires que le bâtiment perdrait sa vocation de RPA à partir du 1er août pour devenir un complexe locatif traditionnel. Les résidents verraient alors leur loyer augmenter de 3 %, en plus de perdre l’accès à plusieurs services, comme la présence d’un « bouton de panique » dans les chambres et d’une infirmière auxiliaire en tout temps sur place.
S’accrochant à une clause de l’acte de vente qui mentionne que ce bâtiment doit continuer d’être exploité à titre de RPA, la locataire Nicole Jetté, 79 ans, a entamé en avril dernier une démarche judiciaire devant la Cour supérieure contre l’entreprise de M. Zavriyev. En plus de porter ce dossier à titre personnel, la résidente représente 56 autres locataires âgés qui réclament le maintien des services qui font de ce bâtiment une résidence pour aînés.
« La clause ne paraît pas permettre à un lecteur attentif de penser qu’un mois après sa signature, [Henry Zavriyev] ferait des démarches pour se libérer des obligations qu’elle contient », soulève le juge Sylvain Lussier, de la Cour supérieure, dans une décision rendue mardi à la suite d’une audience tenue la semaine dernière.
Courage et ténacité
Le juge Lussier a ainsi accordé une ordonnance de sauvegarde forçant M. Zavriyev à conserver tous les services de RPA offerts dans ce bâtiment jusqu’à ce que ce dossier soit analysé sur le fond, le 19 septembre prochain. Ce jugement de 22 pages, que Le Devoir a pu consulter, offre ainsi un sursis aux locataires de la résidence Mont-Carmel, qui sentaient l’angoisse monter à l’approche du 1er août. « Le critère de l’urgence est rempli », tranche le magistrat.
Par le fait même, cette décision oblige le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal à « remettre » au propriétaire de la résidence le certificat de conformité dont le bâtiment a besoin pour servir de RPA.
« Se mobiliser et faire reconnaître ses droits, ça n’a pas d’âge, on en a la preuve aujourd’hui ! Cette victoire, elle appartient aux locataires de Mont-Carmel, qui ont fait preuve de courage et de ténacité », s’est réjouie dans une déclaration acheminée au Devoir la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, tout en déplorant que « ça n’a pas de bon sens qu’au Québec, en 2022, des aînés doivent se battre devant les tribunaux pour rester chez eux ».
En mai dernier, une enquête du Devoir a révélé que l’investisseur Henry Zavriyev et ses partenaires d’affaires ont acquis depuis 2017 une quarantaine de bâtiments situés dans une dizaine d’arrondissements de la métropole. Le jeune homme était alors propriétaire de plus de 1000 logements locatifs.