Francis Vailles – La Presse – 19 avril 2019
Martin Coiteux s’était fâché en 2014 quand les hauts fonctionnaires avaient été incapables de répondre à sa question simple : combien le gouvernement du Québec compte-t-il d’employés ?
Pour juguler les dépenses et atteindre le déficit zéro, le nouveau président du Conseil du trésor avait donné un coup de frein aux dépenses de l’État, qu’il avait appelé le « cran d’arrêt ». Pour bien faire le travail, il avait toutefois besoin de connaître le nombre exact d’employés qui travaillaient pour le gouvernement, autant dans la fonction publique qu’à l’extérieur (infirmières, profs, etc.). Réponse des fonctionnaires : euh…
Depuis lors, le Conseil du trésor recense précisément l’effectif. Le Ministère y parvient en traduisant le nombre total d’heures travaillées en employés à temps complet (ETC). Aujourd’hui, il est donc possible de voir l’évolution de cet effectif année après année.
Première nouvelle : le gouvernement du Québec vient de franchir la barre du demi-million d’employés, ce qui constitue fort probablement une première. Plus précisément, le gouvernement a sur sa liste de paie l’équivalent de 510 095 employés à temps plein, selon ce qui est indiqué au budget des dépenses déposé le 21 mars dernier.
Les données nous amènent à traiter d’un autre angle, soit la lourdeur de l’État dans l’économie. Pour la plupart des Québécois, l’ajout d’enseignants et d’infirmières est nécessaire, mais en même temps, nombre de contribuables déplorent que l’État québécois compte trop d’employés.
À ce sujet, on aurait pu s’attendre d’un gouvernement caquiste, de centre droit, qu’il réduise le poids de l’État. Or, cette année, il prévoit ajouter quelque 15 500 employés à temps plein, ce qui fera grimper le total à plus de 525 500 personnes (en ETC toujours).
Encore une fois, les intentions sont bonnes. Les nouveaux jobs s’expliquent par l’ajout de classes de maternelle 4 ans, de ressources en santé pour les soins à domicile et de personnel pour favoriser l’intégration des immigrants (francisation, etc.). Il reste qu’au bout du compte, même en sabrant 1311 postes cette année, notamment par attrition, l’effectif grimpe de près de quelque 15 500 personnes, à 525 500 personnes.
Pour y voir clair, cependant, il ne suffit pas de mesurer l’effectif, mais de le comparer à l’économie québécoise dans son ensemble, qui est aussi en croissance. La question : l’État accapare-t-il une part croissante des emplois au Québec ?
Voyons voir. D’abord, il faut savoir que l’année qui a suivi le « cran d’arrêt » de Martin Coiteux, en 2015, s’était bel et bien soldée par une réduction de l’effectif. Au total, le gouvernement comptait 478 600 employés au terme de l’année financière 2015-2016, un recul de 8820 postes sur l’année précédente, soit 1,8 %.
Avant ces compressions, les employés du gouvernement représentaient 12,01 % du total des employés au Québec en 2014, proportion qui est passée à 11,68 % en 2015. L’État réduisait alors significativement sa présence dans l’économie, du moins en matière d’emplois 1.
Depuis, toutefois, cette part a sans cesse grimpé. La hausse est très faible, mais tout de même, elle est constante, si bien qu’elle est revenue à 11,97 % en 2018. Tout indique qu’elle dépassera le niveau de l’ère pré-Coiteux en 2019, aux environs de 12,2 %, en supposant que l’économie crée en 2019 une proportion équivalente d’emplois que la moyenne des cinq dernières années (environ 1 %).
L’augmentation est aussi manifeste, quoique moins grande, si l’on s’en tient à la stricte fonction publique québécoise (donc excluant les profs, les infirmières, etc.). En 2018, on comptait 68 696 fonctionnaires, ce qui représente 1,61 % du total des employés au Québec, contre 1,71 % en 2013 et 1,67 % en 2014. Le creux a été atteint en 2016, à 1,57 %.
Encore une fois, le gouvernement caquiste n’erre pas quand il veut ajouter des profs et des infirmières, compte tenu des besoins et du vieillissement de la population. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que ce poids plus grand de l’État se fait avec de l’argent des contribuables. Et se demander si, en étant plus productif, l’État ne pourrait pas offrir les mêmes services avec moins d’employés.
Ce pourrait être le cas dans le secteur de la santé, par exemple. Des médecins, infirmières et patients se plaignent de devoir encore utiliser des dossiers en papier et des télécopieurs pour communiquer, de même que des systèmes informatiques désuets.
J’ai une consolation, certainement. J’ai demandé le même genre de renseignements au Conseil du trésor de l’Ontario il y a trois jours. Or, bien qu’on m’ait assuré une réponse rapide, le gouvernement de Doug Ford – en période d’austérité – n’est toujours pas en mesure de me transmettre l’effectif de l’État…
1. Le poids de l’État peut aussi être exprimé en proportion du PIB. Les dépenses consolidées du gouvernement sont ainsi passées de 26,1 % du PIB en 2013-2014 à 25 % l’année suivante, niveau qui est stable depuis.