Commissaire à la santé par intérim, Anne Robitaille souligne que la rémunération à l’acte, choisie par 77,5 % des médecins québécois, a souvent été perçue comme un « frein à l’amélioration de l’efficience du système de santé ». Mais est-ce vrai ? « Pour le savoir, ça prenait des données probantes », note Mme Robitaille. En 2014, le CSBE, dont l’abolition a été annoncée dans le dernier budget, a donc mandaté le Fonds de recherche du Québec pour lancer deux recherches sur le sujet. Estimant que l’un des chercheurs choisis, Damien Contandriopoulos, avait un parti pris contre les médecins, les deux fédérations médicales se sont retirées du comité de suivi des recherches l’an dernier. Le CSBE a quant à lui toujours assuré que le processus d’octroi des recherches avait été fait de façon « juste et rigoureuse » et a toujours appuyé les chercheurs. Les deux fédérations n’ont pas voulu commenter les résultats présentés hier.
D’entrée de jeu, M. Contandriopoulos a expliqué, hier matin, que la part de la rémunération des médecins sur les dépenses totales en santé au Québec est passée de 15 % il y a 10 ans à 20 % en 2015 au fil d’importantes hausses de rémunération. « L’essentiel de cette enveloppe est allé aux médecins spécialistes », précise le chercheur.
Augmentation des revenus bruts moyens des médecins de 2010 à 2015 :
Canada 8 %
Québec 22 %
Augmentation moyenne de la rémunération (en dollars courants) depuis 10 ans pour :
Médecins de famille 100 000 $ par année
Médecins spécialistes 200 000 $ par année
Certaines spécialités ont vu leur rémunération augmenter plus rapidement que les autres depuis 10 ans, créant des écarts de rémunérations importants.
Rémunération moyenne 2006 2015
Ophtalmologistes 345 000 $ 695 000 $
Radiologie 457 000 $ 703 000 $
Pédiatrie 205 000 $ 389 000 $
Omnipraticiens 178 000 $ 281 000 $
Note : Moyenne calculée pour les médecins actifs seulement
M. Contandriopoulos et ses collègues ont noté que si la rémunération à l’acte permet d’augmenter la productivité, des effets pervers sont observés. Chez les médecins de famille, les primes de toutes sortes se sont multipliées dans l’espoir d’améliorer l’accessibilité des patients. Or, sur le terrain, la prise en charge de clientèles complexes ne s’est pas améliorée, note entre autres la chercheuse Astrid Brousselle.
Somme versée annuellement en prime par médecin de famille au Québec
Chez les spécialistes, l’étude révèle qu’il n’y a pas eu d’ajustement des tarifs au fil des ans pour tenir compte des évolutions technologiques, si bien que des actes sont maintenant « très rentables » et d’autres moins. Des spécialistes de l’ophtalmologie et de la radiologie peuvent maintenant réaliser un très grand nombre d’actes beaucoup plus rapidement qu’avant, augmentant du coup leur rémunération globale. L’existence d’actes plus payants pousse certains médecins à adopter des « pratiques opportunistes ».
Les conclusions de l’étude de M. Contadriopoulos sont pour l’instant préliminaires puisque le rapport final sera déposé en 2018. Mais déjà, le chercheur estime que Québec « délègue une trop grande part » de sa responsabilité aux fédérations médicales. Celles-ci contrôlent la mise en œuvre de la rémunération de leurs membres, en veillant à la distribution de leur enveloppe. « Oui, Québec intervient parfois ponctuellement pour corriger certaines dérives. Mais Québec devrait assumer ses responsabilités », estime M. Contandriopoulos.
Dans son analyse, Jean-Louis Denis a pour sa part étudié les différents modes de paiement pour les médecins. « La solution miracle n’existe pas », conclut-il. M. Denis estime toutefois que « canaliser ses énergies sur le mode de rémunération est insuffisant » afin d’améliorer l’efficience du réseau de la santé.
Les deux recherches :
Analyse de l’impact de la rémunération des médecins sur leur pratique et sur la performance du système de santé (Damien Contandriopoulos, Astrid Brousselle et All.)
Rémunération médicale et gouvernance clinique performante : une analyse comparative (Jean-Louis Denis, Marie-Pascale Pomey et All.)