Mission Santé Québec : économiser 1 milliard

Source : La Presse 13 novembre 2024

(Québec) La patronne de Santé Québec appelle les établissements de santé à faire le grand ménage dans leurs dépenses pour éliminer 1 milliard de déficit sans réduire les services aux patients. Trois semaines avant que cette nouvelle société d’État entre en fonction, Geneviève Biron promet d’améliorer l’accès aux soins dans « les prochains mois ».

Temps d’attente aux urgences, inscription des patients orphelins et retard en chirurgie. La question de l’accès au réseau de la santé et des services sociaux est « omniprésente », admet la présidente-directrice générale de Santé Québec en entrevue avec La Presse.

Sans surprise, l’enjeu – qui présente de nombreux écueils, de l’aveu même du ministre Christian Dubé – figure en tête de liste de l’agence, qui prendra officiellement son envol le 1er décembre. Les CISSS et CIUSSS seront alors intégrés à Santé Québec, qui deviendra l’employeur unique du réseau.

« Le 1er décembre […], ce n’est pas une ligne d’arrivée, c’est un départ, affirme Geneviève Biron, en tournée médiatique pour présenter ses grandes priorités. On commence. Attendez-vous pas à ce que tout soit réglé le 2 décembre. Ça n’arrivera pas. C’est complexe. Il y a beaucoup à faire. »

Une mission périlleuse attend la « top gun » issue du privé en santé : éliminer le déficit budgétaire anticipé des établissements de santé, situé « dans les eaux » du milliard de dollars, affirme Mme Biron. Pour l’ancienne dirigeante de Biron Groupe Santé, l’heure n’est pas aux demi-mesures, alors que Québec prévoit enregistrer un déficit historique de 11 milliards.

« Ce qu’on demande aux établissements, c’est de respecter leur budget, restreindre le développement. On ne peut pas continuer à toujours dépenser plus », affirme-t-elle.

« Il faut absolument que le réseau contribue à réduire le déficit de l’État pour qu’il ne s’accentue pas davantage. On demande l’effort de tout le monde. » – Geneviève Biron, PDG de Santé Québec

Sans vouloir donner d’exemples précis, Geneviève Biron assure que Santé Québec accompagne les gestionnaires du réseau pour cibler « les bonnes actions » à privilégier pour revenir au vert. La commande est claire : pas question de toucher aux services à la population, assure-t-elle. Chaque établissement devait transmettre au plus tard le 30 septembre dernier son plan d’action pour atteindre l’équilibre budgétaire en 2024-2025.

Selon nos informations, les CISSS et CIUSSS ont dû présenter « des mesures administratives » à prendre, dont « des mesures d’optimisation additionnelles », sans ajout de budgets supplémentaires. Québec a également demandé à Santé Québec d’élaborer son propre plan pour « redresser la situation budgétaire » des établissements au 1er décembre, toujours selon nos informations.

« Pour moi, ça fait partie du rôle de bon gestionnaire, donc je m’attendais à ça », répond Mme Biron, qui a fait le saut au public parce qu’elle estime que les Québécois n’en ont pas pour leur argent dans le système de santé actuel. La saine gestion des finances publiques la préoccupe.

« L’accroissement du budget en santé depuis 10 ans est d’environ 50 %, et la population, 10 % », explique-t-elle.

« On offre beaucoup à la population, c’est bon, ce sont toutes de bonnes choses, mais je sens vraiment qu’on doit se recentrer sur l’essence de notre réseau. » –  Geneviève Biron, PDG de Santé Québec

La Presse rapportait que les cinq établissements les plus déficitaires ont reçu la visite d’auditeurs indépendants pour évaluer leur performance. Sur la Côte-Nord, le déficit anticipé pour 2024-2025 est évalué à 98,9 millions. Il est de 96,5 millions en Abitibi-Témiscamingue. Malgré la hauteur du défi, il n’y a pas d’exceptions à prévoir « à ce moment-ci », dit Mme Biron.

L’an dernier, les établissements de santé ont enregistré un trou financier de 1 milliard. En vertu de la Loi sur l’équilibre budgétaire du réseau public de la santé et des services sociaux, un établissement public ne doit encourir aucun déficit à la fin d’un exercice financier.

Faire les choses autrement

Geneviève Biron s’est faite discrète depuis son entrée en poste, en mai dernier. Les six derniers mois lui ont entre autres permis de faire une tournée des établissements de santé pour « comprendre la réalité » des équipes dans les différentes régions.

La PDG a comme objectif principal de redonner aux Québécois confiance en leur réseau de la santé. Elle fait valoir que Santé Québec, qui sera responsable des opérations, viendra briser les silos entre les établissements. Cela aura un effet sur l’accès, croit-elle.

« On n’avait pas ça avant, la mise en commun », illustre Mme Biron.

Elle mentionne les retards en chirurgie. Les « meilleures pratiques » seront exportées. Ce qui veut dire que les établissements les plus performants partageront leurs protocoles cliniques. « C’est une nouveauté. Le réseau, il est très complexe, tout le monde sait ça, mais il y a beaucoup de choses interreliées. Mais lorsque tu travailles d’une manière indépendante, on n’est pas bon à se passer le témoin. »

Priorités de Santé Québec

  • Accès (première ligne, chirurgie)
  • L’humain (usagers et personnel)
  • L’efficacité (revoir les façons de faire)
  • Les causes (pourquoi le réseau peine-t-il à se rétablir ?)

« En priorisant nos quatre grands axes, je souhaite qu’on puisse voir bouger l’aiguille dans le bon sens dans les prochains mois. On devrait commencer à voir des changements. » – Geneviève Biron, PDG de Santé Québec

Santé Québec présentera ses « cibles opérationnelles » dans son premier plan stratégique, en mars prochain. Pour l’heure, on conserve les cibles du Ministère, comme de ramener le nombre d’interventions chirurgicales en attente de plus d’un an à 2300 et de diminuer le temps de prise en charge aux urgences à 2 h 5 min au 31 mars 2025.

Geneviève Biron confirme avoir terminé la mise en place d’un mandat sans droit de regard pour ses intérêts dans Propulia Capital, plateforme d’investissements qu’elle a fondée après avoir quitté l’entreprise familiale Biron Groupe Santé, en 2021.

« Le privé, on ne peut pas s’en passer »

Pendant que la place du privé en santé fait débat, la PDG de Santé Québec, qui a évolué dans ce secteur, partage la vision du ministre Christian Dubé, selon qui le privé devrait être « complémentaire » au public. « Je pense que le privé, on ne peut pas s’en passer, mais si j’ai à faire une priorité, le réseau public est certainement la priorité », dit-elle. Mme Biron n’a pas voulu dire si elle adhère à la position du Collège des médecins, qui a demandé à Québec de freiner l’expansion du privé en santé. « C’est vraiment une notion qui appartient au ministère. […] Le dossier de Santé Québec, c’est vraiment un dossier sur les opérations du réseau. On n’est pas là pour faire des politiques publiques. Je souhaite laisser ça au ministère. Ils sont dans cette réflexion », déclare-t-elle. La Presse rapportait mardi qu’un nombre croissant d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) quittent le réseau public pour le privé. « J’espère qu’on va avoir un environnement de travail où les gens n’auront pas le besoin d’aller au privé pour trouver ce qu’ils ne trouvent pas dans le public », commente Mme Biron.

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