Ces derniers mois, je suis tout occupée à préparer mon départ de l’hôpital où je pratique la médecine interne depuis 17 ans.
Mes journées en clinique externe se passent à annoncer à chacun de mes patients que je ne pourrai plus assurer leur suivi à l’hôpital à partir du 1er juillet, date à laquelle j’ai démissionné de mon poste (PEM).
Certains pleurent, d’autres ont les larmes aux yeux, la plupart m’expriment leur attachement et leur gratitude, et presque tous manifestent de l’inquiétude. Ce sont des moments intenses en émotion, qui me surprennent, me comblent de reconnaissance et d’affection, me vident et me culpabilisent tout à la fois.
Il s’agit dans certains cas de mettre un terme à une relation thérapeutique qui dure depuis une quinzaine d’années !
Je pars, c’est mon choix. J’ai un poste à temps plein en hôpital que je n’occupe que très partiellement depuis quelques années. J’ai eu deux enfants et j’ai décidé d’être une mère présente et disponible. Puis j’ai développé un intérêt pour les soins aux patients atteints du VIH/SIDA. Il s’agit d’une expertise particulière qui se pratique en dehors de l’hôpital, dans les cliniques spécialisées dans ce domaine. J’ai donc beaucoup moins de temps à consacrer à la pratique hospitalière.
Je pars, mais j’aurais souhaité pouvoir venir faire du remplacement au besoin dans cet hôpital où je me suis investie pendant 17 ans. Malheureusement, de nouvelles règles administratives imposées par le ministère de la Santé font en sorte qu’il n’est plus possible pour un médecin spécialiste de pratiquer en hôpital sans un poste à temps plein.
Je pars et, je l’avoue, je suis soulagée. La pratique médicale en hôpital communautaire ne cesse de se détériorer depuis l’avènement au pouvoir du gouvernement actuel. Dans ce milieu où je me suis épanouie sur les plans professionnel et humain, le niveau d’insatisfaction est très élevé et l’atmosphère, oppressante. Des omnipraticiens engagés et compétents sont forcés à quitter l’hôpital.
Médecins de famille et spécialistes sont traités comme des pions qu’on peut déplacer sur un échiquier au gré des décisions arbitraires des gestionnaires.
La « performance » des médecins est devenue le nouveau paradigme, la valeur ultime prônée par les administrateurs et relayée par les médias. On nous pousse à voir toujours plus de patients plus rapidement. L’important, c’est l’amélioration des statistiques à présenter au ministre omnipotent. Mes collègues sont démoralisés, impuissants et épuisés, tout comme l’ensemble du personnel soignant.
Je pars, et je suis ébranlée par le désarroi de tous ces gens avec qui j’ai travaillé et tissé des liens d’amitié, peinée de constater que tout ce qu’on a construit ensemble puisse être fragilisé à ce point, en si peu de temps. Mais force est d’admettre que c’est un bon moment pour partir.
Mes chers patients, je pars
Je vous aime, mais je pars
Je ne m’enfuis pas, je vole…*
* Inspiré de la chanson Je vole, de Michel Sardou