Les listes d’attente pour obtenir une consultation avec un médecin spécialiste au Québec comptent actuellement plus de 784 000 noms. Une hausse de 52 % depuis le début de la pandémie. Et près de 60 % des demandes sont hors délai.
ARIANE LACOURSIÈRE, LA PRESSE
Président de l’Association de neurochirurgie du Québec, le Dr Louis Crevier précise que 7074 personnes attendaient une consultation dans sa spécialité en 2020, contre plus de 18 800 actuellement. « Ça va clairement moins bien qu’avant la pandémie », dit-il.
« Nous sommes tous préoccupés. Parce que les choses avancent lentement », note le président de l’Association des obstétriciens-gynécologues du Québec, le Dr Dario Garcia. Dans sa spécialité, 80 % des demandes de consultation étaient vues dans les délais en 2019-2020, contre 70 % actuellement.
DEMANDES DE CONSULTATION EN ATTENTE
Février 2020
- 516 363 demandes
- Délai d’attente moyen : 202 jours
- Proportion à l’intérieur du délai : 66,3 %
Novembre 2022
- 785 000 demandes
- Délai d’attente moyen : 400 jours
- Proportion à l’intérieur du délai : 42,3 %
Source : Centres de répartition des demandes de service du Québec
Lancés en 2018, les Centres de répartition des demandes de service (CRDS) reçoivent dans chaque région du Québec les demandes des omnipraticiens qui souhaitent obtenir une consultation pour leur patient avec un médecin spécialiste.
Chacun de ces patients se fait attribuer une cote de priorité, allant de A à E, en fonction de la gravité de sa situation. Une cible d’attente est établie pour chaque code de priorité. Par exemple, un cas classé « B » doit être vu en 10 jours et un « C », en 28 jours. Dans certaines régions, la majorité des demandes dans certaines spécialités sont actuellement hors délai.
NOMBRE DE DEMANDES DE CONSULTATION EN ATTENTE QUI SONT « HORS DÉLAI »
Neurochirurgie dans Lanaudière : 1979 sur 2213 (89 %)
ORL dans Chaudière-Appalaches : 2477 sur 3728 (66 %)
Urologie à Montréal : 5093 sur 10 497 (49 %)
Source : Centres de répartition des demandes de service de chaque région
Les dernières données à ce sujet avaient été publiées en juin. Dans un article de Radio-Canada, on apprenait que 720 000 demandes étaient en attente aux CRDS. Nous sommes maintenant à plus de 784 000.
Les cas urgents sont vus rapidement
Le Dr Vincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), tient à préciser que la grande majorité des cas urgents, soit ceux classés A, B ou C, « sont vus dans les délais actuellement » et que l’attente touche plus les patients D (cible de 3 mois d’attente) et E (cible de 12 mois d’attente).
En neurochirurgie, ces patients « moins urgents » peuvent par exemple présenter des problèmes de dos, comme une hernie discale, ou une sténose lombaire, explique le Dr Crevier. « Ce n’est pas des choses qui sont extrêmement urgentes. Mais ça peut être souffrant », dit-il. Ces patients peuvent par exemple avoir de la difficulté à marcher et ne pas pouvoir travailler.
La Dre Véronique Godbout, présidente de l’Association d’orthopédie du Québec, estime qu’il « faut améliorer la prise en charge de ces patients » jugés « non urgents ». Elle note que certains « n’ont pas nécessairement besoin de voir un orthopédiste ». Mais la physiothérapie n’étant pas couverte par le régime public, des médecins de famille les dirigent vers un médecin spécialiste. « Si on pouvait avoir au moins quelques visites gratuites de physiothérapie pour démarrer les traitements de ces patients, ça aiderait », dit-elle.
Le Dr Crevier croit qu’une partie de la solution repose sur les cliniques musculo-squelettiques sur lesquelles planche le gouvernement et qui aideraient les patients de neurochirurgie, de physiatrie et d’orthopédie à obtenir des services plus rapidement.
Ces cliniques reposent toutefois en bonne partie sur la présence de physiothérapeutes qui feraient un premier « triage ». « Et il y a déjà très peu de physiothérapeutes dans le réseau… Ça revient toujours aux ressources humaines », note le Dr Crevier.
De l’attente aussi pour opérer
À l’attente pour obtenir une première consultation avec un médecin spécialiste s’ajoute celle pour obtenir une opération. Actuellement, plus de 160 000 personnes attendent d’être opérées au Québec.
Le Dr Garcia souligne que depuis la pandémie, les blocs opératoires ne roulent pas à plein régime par manque de personnel. Pour lui, le fait qu’il soit si difficile d’opérer actuellement a des répercussions sur le rythme de consultation des médecins spécialistes.
Si mes listes d’attente en chirurgie sont pleines et que je ne sais déjà pas quand je vais pouvoir opérer mes patients, je peux avoir tendance à ralentir sur l’entrée.
Le Dr Dario Garcia, président de l’Association des obstétriciens-gynécologues du Québec
Le Dr Crevier partage cet avis : « Il y a des chirurgiens de la colonne qui se disent : ça me donne quoi de voir 15 ou 20 patients de plus aujourd’hui dans ma clinique ? Je vais juste les ajouter sur ma liste d’attente de chirurgie, mais je suis déjà pas capable d’opérer ceux qui sont sur ma liste », dit-il.
Des données imparfaites
Le Dr Oliva souligne que les listes d’attente des CRDS sont « imparfaites ». Elles comptent par exemple plusieurs doublons. Selon des estimations de la FMSQ, environ 10 % des demandes pourraient être éliminées en retirant les doublons.
Le CISSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal s’apprêtait justement la semaine dernière à faire « une importante mise à jour de ses listes d’attente ». « Des usagers sont souvent inscrits sur plusieurs listes d’attente dans différents établissements afin d’obtenir une première consultation », indique le porte-parole du CIUSSS, Jean-Nicolas Aubé. Ce dernier raconte que plus de 200 personnes inscrites au CRDS de la métropole ont dû être jointes il y a quelques semaines pour combler une cinquantaine de premières consultations en urologie. Plusieurs avaient obtenu une consultation ailleurs ou n’en avaient plus besoin.
Dans plusieurs spécialités, les patients doivent aussi passer certains tests, comme un IRM ou une prise de sang, avant d’obtenir leur première consultation. Mais la transmission de ces résultats aux CRDS se fait encore trop souvent par télécopieur, ce qui entraîne des retards.
Des rappels de rendez-vous ne sont pas toujours effectués par les CRDS auprès des patients, si bien que plusieurs d’entre eux ne se présentent pas à leur rendez-vous, constate le Dr Oliva.
« On a besoin d’une version plus fonctionnelle et moderne du CRDS […] Les CRDS, c’est beaucoup d’organisation, avec des outils pas modernes. Ça prend une informatisation de tout ça », plaide-t-il.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux n’a pas été en mesure de répondre aux questions de La Presse, envoyées mardi dernier, à ce sujet.
Le Dr Oliva explique qu’un « CRDS 2,0 » est attendu dans les prochains mois, ce qui pourrait permettre « de mieux organiser les services » en médecine spécialisée. Des projets-pilotes sont attendus en 2023, notamment dans les Laurentides et en Montérégie. Et la FMSQ fonde beaucoup d’espoir sur ces « CRDS améliorés » qui permettraient une meilleure gestion de l’attente.