Québec occulte la maltraitance financière des aînés

Stéphanie Grammond – La Presse – 14 avril 2017

Coup d’oreiller, crachat au visage, médicaments erronés… Les mauvais traitements dans les CHSLD font rugir à tout coup l’opinion publique, et pour cause.

Mais la maltraitance financière des aînés qui se produit discrètement dans les chaumières passe trop souvent sous le radar. D’ailleurs, Québec ne dit pas un mot là-dessus dans le projet de loi 115 qui faisait l’objet d’une étude détaillée la semaine dernière à l’Assemblée nationale.

C’est bien dommage, car l’exploitation financière est l’une des plus fréquentes formes de violence contre les personnes âgées.

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Nombre d’appels à la ligne téléphonique Abus Aînés entre octobre 2010 et août 2015

29 %

Cas rapportés concernant de l’exploitation financière ou matérielle

« Le projet de loi est beaucoup trop limité », dénonce Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA).

Le projet protège seulement les aînés contre la maltraitance physique et psychologique. De plus, il ne vise que les abus liés à la prestation de soins de santé et de services sociaux.

Or, 86 % des aînés vivent à domicile et 5 à 7 % d’entre eux seraient victimes de maltraitance par leurs proches, rapporte le mémoire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés.

Vous voulez des cas pathétiques ? Je vous résume quelques histoires d’horreur que j’ai pigées dans les jugements rendus récemment par le Tribunal des droits de la personne.

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Première histoire à faire pleurer. Après le décès de son mari, Madame L hérite du duplex familial que convoite un de ses quatre enfants. Or, le fils a des problèmes de jeu et de consommation excessive d’alcool, une combinaison nocive qui ressort souvent dans les cas d’abus de personnes âgées.

Le fils emménage au rez-de-chaussée, alors que sa mère de plus de 80 ans est reléguée au sous-sol. La pauvre dame a peur de son fils qui ne l’amène même pas à ses rendez-vous médicaux. Elle est isolée, pleure et semble confuse. Elle perd près de 20 kilos. À force de subir de la violence psychologique, elle finit par céder le duplex à son fils devant une notaire qui ne sait pas trop comment intervenir.

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Deuxième situation effrayante. Atteinte d’Alzheimer, Madame P est en sérieuse perte d’autonomie. Mais son fils refuse de la placer dans un centre de soins approprié, lui qui s’est installé comme un parasite dans son logement avec ses deux compagnes et ses trois enfants.

Comme il ne travaille pas, il puise dans les comptes de sa mère pour subvenir aux besoins de sa famille, armé d’une procuration et d’un mandat en cas d’inaptitude, des outils fréquemment utilisés pour prendre le contrôle des finances d’un proche. Quand les autres enfants cherchent à voir leur mère, il appelle la police pour les faire expulser. Tout pour garder sa mère sous son joug.

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Un dernier cas, mais non le moindre.

Malgré toute son érudition, Monsieur D ne comprend pas grand-chose aux finances de la maisonnée entièrement prises en charge par sa femme adorée. Quand celle-ci décède dans des circonstances dramatiques, il devient une proie facile pour un couple d’amis de longue date qui lui offre le réconfort dont il a tant besoin.

Petit à petit, ce couple met tout en place pour s’approprier sa fortune de plus de 1 million de dollars. L’homme de 87 ans change son testament en sa faveur. Il lui cède sa maison. Il lui confie la gestion de toutes ses finances.

Le couple liquide ses placements et vide ses comptes à grands coups de retraits de 5000 à 50 000 $ que la banque laisse passer sans sourciller. Quand le pauvre homme décède à 97 ans, il ne lui reste que 5000 $. Une fraude monumentale !

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Pour prévenir ce genre d’abus, il faudrait une approche beaucoup plus globale que ce que le projet de loi 115 propose. Il faudrait mieux outiller les notaires, comptables et conseillers financiers qui sont aux premières loges pour détecter la maltraitance financière.

À l’heure actuelle, ces professionnels sont déchirés entre la nécessité de dénoncer les abus et leur obligation de respecter la confidentialité du client victime de maltraitance. « C’est ça, le gros, gros problème », insiste Raymonde Crête, professeure de droit à l’Université Laval.

Les lois leur permettent de déroger au secret professionnel s’il y a un danger imminent d’acte de violence (ex. : blessures graves, suicide). Le projet de loi 115 ajoute la violence psychologique à cette liste. Mais il reste muet sur les dommages matériels ou financiers.

C’est le maillon manquant. C’est l’outil qui serait nécessaire pour que les professionnels témoins d’abus financiers puissent dénoncer les gestes qui se déroulent sous leurs yeux.

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Mais les professionnels peuvent aussi faire beaucoup de travail en amont pour prévenir les abus. Avant que leurs clients arrivent à un âge avancé, ils devraient les encourager à faire un testament et un mandat en cas d’inaptitude. « Il ne faut pas attendre à 98 ans pour se préparer pour l’avenir ! », blague Mme Crête.

Parfois, de petits conseils peuvent faire la différence, comme suggérer aux clients plus vulnérables de payer leurs comptes par paiements préautorisés, pour éviter de céder la gestion de leurs finances à quelqu’un d’autre.

Les clients qui désirent quand même accorder une procuration à un proche devraient suivre le guide de l’Autorité des marchés financiers (AMF) plutôt que de rédiger un document aux balises floues qui permettra au mandataire de puiser dans le compte.

Et pourquoi pas donner la permission à la banque de bloquer les retraits suspects et de communiquer avec une personne de confiance en cas de soupçon ?

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