Vincent Larouche – La Presse – 10 avril 2018
Explosion du nombre de patients agressifs, violence à la hausse contre le personnel soignant, surpopulation chronique et employés qui n’en peuvent plus. Dans un document interne obtenu par La Presse, des gestionnaires du service de psychiatrie de l’hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, sonnent l’alarme quant à la situation « de plus en plus inquiétante » et au risque élevé « d’évènement grave » dans leurs unités.
Le 1er décembre, un patient psychotique a agrippé soudainement les deux pieds d’une psychiatre de la Cité-de-la-Santé qui était assise sur sa chaise dans un bureau d’entrevue. Prise au dépourvu, la médecin est tombée au sol, sur le dos. Le patient s’est jeté sur elle et a essayé de lui saisir le cou.
Un infirmier qui se trouvait sur place a tenté de dégager la psychiatre. Le patient s’est retourné vers lui et a cherché à l’étrangler à son tour. L’infirmier est parti en arrêt de travail pour plusieurs mois.
Deux mois plus tôt, une autre infirmière avait été surprise par un patient qui avait sauté par-dessus une demi-porte pour la saisir à l’intérieur de son poste de travail et lui asséner un violent coup de poing à la mâchoire, avant de la rouer de coups sur tout le corps.
Augmentation de 106 %
Ces agressions sont évoquées dans un « état de la situation » interne rédigé en janvier par la chef des unités de psychiatrie du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, Rosa Di Meo, et la coordonnatrice à la direction du programme de santé mentale, Brigitte Tremblay.
Les deux cadres souhaitaient notamment avertir la haute direction d’un risque « sérieux » que des reportages dans les médias mettent au jour « cette situation de plus en plus inquiétante pour le personnel et les usagers » à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé. La Presse a obtenu une copie du document la semaine dernière.
L’état de la situation rejoint les cris d’alarme lancés dans d’autres établissements du réseau de la santé récemment. En septembre, le Montreal Gazette a révélé comment un patient des urgences psychiatriques avait presque tué une infirmière à l’Hôpital général de Montréal en l’étouffant. Récemment, La Tribune a raconté les craintes des employés après une tentative de meurtre contre un agent d’intervention à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke.
La différence, c’est qu’habituellement, ce sont plutôt des employés et leurs associations syndicales qui dénoncent les faits. À la Cité-de-la-Santé, ce sont des cadres qui sonnent l’alarme.
Voici ce qu’elles constatent :
– Les unités de psychiatrie à Laval ont été le théâtre de 54 agressions contre des employés l’an dernier (contre 28 en 2015).
– Les blessures subies par des employés en maîtrisant physiquement des patients ont conduit à 15 arrêts de travail au cours de la même année.
– Le nombre de cas de patients agressifs a augmenté de 106 % par rapport à l’année précédente.
– Le nombre de déclarations de « situations dangereuses » a quadruplé entre 2015 et 2017.
Des patients parqués dans le gymnase
Les gestionnaires mettent en cause la surpopulation qui afflige leurs unités, notamment depuis que la révision de mandat de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal a forcé l’hôpital lavallois à prendre en charge un plus grand nombre de patients agressifs.
Elles racontent comment, ces dernières années, le gymnase de l’établissement a été utilisé comme unité de débordement psychiatrique. La pratique a cessé parce que les psychiatres ont rédigé une lettre alléguant que cette pratique compromettait « de façon importante » la sécurité et le bien-être des usagers.
Encore aujourd’hui, le manque de places fait que des patients « âgés, plus stables, moins sévèrement atteints » sont gardés au même endroit que des usagers « extrêmement désorganisés, avec un potentiel de violence/agressivité » et « des troubles graves de comportement ».
« Cette mixité ne favorise pas le rétablissement de ces usagers qui éprouvent de la crainte et qui évitent de circuler sur les unités ou de socialiser », précisent les cadres.
Taux de roulement de personnel jamais vu
La situation difficile en psychiatrie fait que « le taux de roulement de personnel n’a jamais été aussi élevé », selon les gestionnaires.
« L’augmentation des agressions, la pression continue reliée au manque de personnel et le constat évident pour ces derniers à l’effet que l’environnement ne correspond pas aux besoins des usagers amènent plusieurs d’entre eux à quitter », précise l’état de la situation.
Deux préposées aux bénéficiaires qui ont demandé à ne pas être nommées publiquement par crainte des conséquences sur leur emploi ont évoqué à La Presse, ces derniers jours, des cas de coups de pied, morsures, tirages de cheveux, excréments lancés sur les murs, mobilier détruit, contentions arrachées. Les employées ont malgré tout des mots affectueux pour leurs patients, qui ont besoin d’aide et « vivent beaucoup de détresse », selon l’une d’elles.
Le CISSS dit avoir déjà agi
Questionné par La Presse, le porte-parole du CISSS, Pierre-Yves Séguin, a souligné que plusieurs des problèmes soulevés dans la missive de janvier ont déjà été réglés et que d’autres le seront au cours de l’année.
Il souligne que les formations pour intervenir en situation d’agressivité ont déjà été augmentées, le nombre d’employés aussi. Un plan d’aménagement sera déployé en mai afin d’élargir les portes des salles d’isolement (ce qui facilitera les interventions physiques), de rehausser la sécurité des postes infirmiers et de construire éventuellement de nouvelles installations consacrées exclusivement à la santé mentale.
La directrice générale adjointe de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur des affaires sociales, Julie Bleau, refuse de parler des solutions spécifiques qui sont envisagées à la Cité-de-la-Santé, mais elle ajoute que des réunions ont lieu fréquemment entre syndiqués et patrons pour améliorer les choses.
« Ça avance. Parfois, on aimerait que ça avance plus vite, mais il y a des idées qui se brassent, il y a des choses qui se font », assure-t-elle.
Manque de financement dénoncé
Le syndicat des préposés aux bénéficiaires, affilié à la CSN, est moins enthousiaste. Il blâme le gouvernement libéral pour le manque de financement.
« La direction n’a pas des moyens ! Les budgets sont complètement coupés. La détresse des gens est effrayante. Ça fait 20 ans que je travaille et je n’ai jamais vu ça. On a des patients qui étaient à Pinel avant. Un préposé aux bénéficiaires, ce n’est pas un policier ! Il n’est pas dans l’armée non plus. »
— Richard Després, du syndicat des préposés aux bénéficiaires
Affilié à la CSQ, le syndicat qui représente les infirmières et d’autres catégories d’emplois juge la situation intenable.
« On est préoccupés par toute cette violence. Avec les fusions d’établissements, il y a beaucoup plus de patients psychiatrisés qui ont été donnés au CISSS », affirme le vice-président, Déreck Cyr.
Lui aussi croit que la solution passe par une hausse des budgets. « Tout ce qui pouvait être fait à coût nul, on l’a déjà fait », dit-il.
service de psychiatrie Du CISSS de Laval
Agressions contre le personnel
2015 : 28
2016 : 44
2017: 54
service de psychiatrie Du CISSS de Laval
Situations dangereuses
2015 : 11
2016 : 44
2017 : 47
Source : État de la situation rédigé par Rosa Di Meo et Brigitte Tremblay en janvier