TRANSFERTS EN SANTÉ Une âpre guerre de chiffres

TRANSFERTS EN SANTÉ

Une âpre guerre de chiffres

Comme le veulent les bonnes vieilles traditions canadiennes, les négociations entre le gouvernement et les provinces sur le financement de la santé se sont transformées en psychodrame. Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a mis fin abruptement aux discussions quand il a vu que ses interlocuteurs refusaient d’accepter ses propositions. Derrière les désaccords, une âpre guerre de chiffres. Voici un retour sur les statistiques-clés de cette bataille, pour y voir plus clair.

Les acteurs : 14, pas 2

D’abord un rappel. Ces négociations se font à 14. Le gouvernement fédéral d’un côté, et de l’autre, les dix provinces et les trois territoires. Ce n’est pas, comme on le croit souvent ici, un conflit entre Ottawa et le Québec. Chaque province a son propre régime de santé, mais ces systèmes sont tous soumis à la même loi fédérale, ils sont tous dépendants des fonds fédéraux et ils sont tous aux prises avec de sérieuses contraintes budgétaires. C’est un domaine où il n’y a pas vraiment de spécificité québécoise, sauf la grande allergie du Québec vis-à-vis des intrusions fédérales et la propension du ministre Gaétan Barrette à parler plus fort que ses homologues.

Les 6 % de Paul Martin

Maintenant, la toile de fond. Les provinces ont connu une période bénie quand Paul Martin, en 2004, alors qu’il a été brièvement premier ministre, leur a garanti une hausse des transferts fédéraux en santé de 6 % par année pendant 10 ans, une entente renouvelée pour deux ans par le gouvernement Harper. L’ère des 6 % prendra fin l’an prochain, en 2017-2018. Ce rythme de croissance, auquel les provinces se sont habituées, est devenu pour elles une sorte de norme.

Les 3 % de Stephen Harper

Cela a donc été un choc quand le gouvernement conservateur a décrété en 2011, sans discussion, que la croissance annuelle des transferts serait réduite, après 2016-2017, au rythme de croissance du PIB nominal jusqu’à un minimum de 3 %. Les provinces, prises à la gorge, n’ont jamais accepté ce projet de réduction et n’ont pas digéré que le gouvernement Trudeau, malgré ses orientations sociales, reprenne à son compte le cadre conservateur en l’édulcorant un peu avec la promesse d’injecter 3 milliards sur quatre ans pour des projets ciblés. C’est l’enjeu de la bataille actuelle.

Les 4,4 % de Justin Trudeau

Dans le feu de l’action, cette semaine, on ne semble pas trop s’être aperçu que le gouvernement fédéral avait bonifié son offre de façon significative. La croissance de base des transferts passe de 3 % à 3,5 % et les fonds additionnels pour la santé mentale et les soins à domicile sont portés à 11,5 milliards sur 10 ans. Ces deux éléments combinés font en sorte que la croissance annuelle des transferts fédéraux remonterait à 4,2 %, assez pour ne pas compromettre la capacité des provinces à offrir leurs services, et pas très loin des demandes provinciales, maintenant à 5,2 %. Nous entrons donc dans une zone de négociations.

L’argument des 2,7 %

Mais depuis la crise financière, les provinces, durement frappées, ont sabré leurs dépenses de santé. La croissance des dépenses provinciales, à 6,1 % en 2010, a été ramenée à une moyenne de 2,7 % entre 2011 et 2016, selon les chiffres de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Même chose au Québec. Bref, pendant qu’Ottawa augmentait ses dépenses de 6 %, les provinces n’augmentaient les leurs que de 2,7 %. Cela donne du poids à l’argument fédéral voulant que la croissance élevée de ses transferts a permis aux provinces de réduire leur propre investissement en santé et à utiliser les fonds ainsi économisés à d’autres fins.

La bataille des 23 %

Mais l’enjeu, pour les provinces, ce n’est pas de payer leurs dépenses de santé de l’an prochain, mais de penser à l’avenir. Si elles tiennent à une croissance plus élevée des transferts fédéraux, c’est pour que la participation d’Ottawa aux dépenses de santé augmente. Avec les chiffres actuels, le ministre Barrette estime qu’elles passeront des 23,3 % actuels à 20,4 % d’ici 10 ans. C’était bien pire avec la formule initiale du gouvernement Harper, qui aurait fini par porter la part fédérale à quelque chose comme 13,8 % dans quelques décennies.

L’enjeu : la viabilité

Mais pourquoi se battre pour un taux de participation fédérale ? Par attachement aux symboles ? Pour remettre Ottawa à sa place ? Non. La chose qui menace les budgets des gouvernements, c’est la croissance des dépenses de santé. En 2012, dans son analyse de la formule proposée par le gouvernement Harper, le directeur parlementaire du budget expliquait : « En indexant le financement fédéral des soins de santé au taux de croissance du PIB, le gouvernement fédéral se prémunit en grande partie de l’impact financier du vieillissement de la population. Mais les gouvernements provinciaux, investis de la responsabilité constitutionnelle des soins de santé, ne peuvent pas agir ainsi. » Autrement dit, en serrant la vis, Ottawa assure la viabilité financière à long terme de ses finances, mais compromet celle des provinces. L’enjeu est là.

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