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Travailleurs âgés recherchés: les entreprises en mode séduction auprès des 60 à 69 ans

Elle est bien loin l’époque où les travailleurs de 60 ans étaient des laissés-pour-compte, sur la «voie de service» en attendant la retraite! Les entreprises courtisent et s’arrachent ces employés expérimentés qui pourraient aider le Québec à faire face à l’extrême pénurie d’effectifs.

OLIVIER BOURQUE, JOURNAL DE QUÉBEC

«Cette catégorie de travailleurs peut faire la différence si on trouve les bonnes façons de faire, les aménagements appropriés pour les accompagner», assure Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ) lors d’une entrevue avec Le Journal

L’organisation patronale se creuse les méninges depuis plusieurs mois afin de faire face à la pénurie de main-d’œuvre. Actuellement, il y a plus de 250 000 postes vacants au Québec.  

«On pêche dans un lac vide ! Dans certains cas, on assiste à un déplacement de travailleurs et pas de création nette», explique M. Blackburn. 

«Dans toutes les régions, les employeurs usent de nouvelles façons de faire pour combattre la pénurie de main-d’œuvre et de logement. Les employeurs sont devenus des agents immobiliers, c’est pas des farces», image-t-il. 

Rattraper l’écart avec l’Ontario

Depuis plusieurs années, les entreprises sont encouragées à se robotiser et s’automatiser, à requalifier les employés, à recourir aux travailleurs étrangers temporaires. Mais selon le CPQ, le maintien ou le recrutement des 60 ans et plus pourrait aussi permettre de régler le tiers de la pénurie au Québec. 

«Si nous avions le même taux d’emploi des 60-69 ans qu’en Ontario, c’est entre 75 et 90 000 travailleurs de plus que nous aurions sur le marché du travail au Québec», assure M. Blackburn. 

Être à l’écoute

Mais pour ce faire, les employeurs devront changer leur manière de faire et être à l’écoute. «On va élaborer les meilleures pratiques pour la rétention de ces travailleurs et l’attraction», promet-il. 

Le CPQ lance d’ailleurs un vaste projet appelé «Séduction 60-69 ans» afin de développer des outils de rétention ou d’embauches de ces travailleurs. 

Sur deux ans, l’organisation va répertorier les meilleures pratiques avec une trentaine d’entreprises (voir ci-bas) afin de développer un guide et veut en aider une soixantaine dans des secteurs plus touchés (construction, fabrication, commerce de détail, services d’hébergement et de restauration). 

En attendant la publication du guide, M. Blackburn croit que les employeurs doivent mettre les efforts pour garder en emploi leurs travailleurs de 60 ans et plus, notamment par la mise en place d’horaires allégés. 

«On a remarqué que c’est beaucoup plus facile de retenir les travailleurs que de les ramener sur le marché du travail, c’est un constat clair», explique-t-il. 

Revoir la retraite? 

Le CPQ rappelle qu’au Québec, les travailleurs prennent leur retraite à 62 ans, deux ans plus tôt que la moyenne canadienne. 

«Est-ce que ça a à voir avec la culture de liberté 55? Je ne sais trop. Mais faudra repenser ou reconsidérer cet élément-là. Avant, on prévoyait de prendre sa retraite à 65 ans, car l’espérance de vie était de 70-75 ans. Mais là, on peut vivre jusqu’à 85 ans. Il faut peut-être repenser notre modèle», croit-il. 

Il y a quelques semaines, le ministre du Travail, Jean Boulet, avait fermé la porte à hausser l’âge de la retraite à 67 ans au Québec. 

«Nous continuons d’analyser nos options, notamment de nature fiscale, mais pour le moment, le rehaussement de l’âge de la retraite n’est pas envisagé», avait-il souligné.

Contacté par Le Journal, le cabinet du ministre appuie la démarche de séduction des 60-69 ans. 

«Tous les partenaires du marché doivent s’engager afin d’intégrer et de retenir davantage de travailleurs expérimentés en emploi. Ils possèdent un savoir-faire et une expérience précieuse pour les entreprises», a souligné le ministre par courriel. 

Même si cela est jugé insuffisant par le patronat, le gouvernement caquiste a mis en place un crédit d’impôt pour la prolongation de carrière et une initiative ciblée pour les travailleurs plus âgés.  

Les plus de 60 ans et la pénurie de main-d’oeuvre en quelques chiffres

  • Postes vacants au Québec 1: 253 000 
  • Postes à combler d’ici 20302 : 1,4 million

Taux d’activité des 60-69 ans 

  • En Ontario : 42,7 % 
  • Au Québec : 36 %

Population inactive au Québec 3  

  • 60-64 ans : 300 900 personnes
  • 65-69 ans : 426 100 personnes

1. En mai 2022

2. Selon les projections du gouvernement du Québec

3. En mars 2022 

Les principales mesures pour plaire aux 60 à 69 ans 

  • Horaire adapté aux besoins des travailleurs (semaine de 1-2-3 jours)
  • Flexibilité de l’employeur
  • Réduire ou adapter la charge de travail 
  • Être à l’écoute des besoins des travailleurs 
  • Ne pas imposer des heures supplémentaires
  • Attirer les travailleurs expérimentés avec une fiscalité attrayante  

SEMAINE ALLÉGÉE ET HORAIRES FLEXIBLES POUR GARDER LES EXPÉRIMENTÉS 

En ces temps de pénurie de personnel, il est rare de rencontrer des entreprises qui ne manquent pas d’employés. C’est le cas d’Ultima Fenestration, une PME de Saint-Georges de Beauce de 84 travailleurs, qui a réussi le pari de garder les plus expérimentés en emploi. 

«Je touche du bois, mais présentement, j’ai tout le personnel que j’ai besoin», lance David Poulin, directeur des opérations et des ressources humaines de l’entreprise, lors d’une entrevue avec le Journal

La PME fondée il y a 17 ans mise sur les travailleurs étrangers temporaires, mais aussi sur les 60 ans et plus.  

«Tes 9 heures valent cher»

«On avait des employés qui allaient vers la retraite. Ils ont donné à la société et ils sont souvent des grands-parents. Alors, il faut leur permettre d’apprécier leurs moments en famille. Ce qu’on a fait à l’interne, on leur a dit : “dis-moi ce que tu peux me donner et on va le prendre”», explique M. Poulin. 

Actuellement, 7 employés expérimentés sont à l’emploi de l’entreprise. Certains font des demi-journées ou une journée par semaine. 

«On a un travailleur de 60 ans qui fait la maintenance. Il avait une seule journée à nous donner. On lui a dit: “on la prend ! Tes neuf heures, elles valent cher maintenant!”», explique le dirigeant. 

Accepter les modèles atypiques

Dans un autre cas, un travailleur de 71 ans, Hilaire Bergeron voulait pouvoir travailler sur une cabane à sucre durant la fin de l’hiver et le printemps. L’entreprise a accepté cet horaire atypique au grand bonheur du septuagénaire. 

«J’arrête aux Fêtes, je me repose un peu et après je vais à la cabane et je mets les chalumeaux dans les entailles. On m’appelle le coureur des bois! Il n’y a pas un jeune qui est capable de me suivre», lance-t-il, en riant. 

Puis, après les sucres, il revient travailler à l’usine. Il ne changerait pas son horaire pour tout l’or du monde. 

«Le monde me traite de fou car je continue à travailler. Mais, moi arrêter de travailler, c’est mourir debout. On me dit : “t’es encore speedy !” Mais, moi je pédale, je vais vite», dit-il. 

Pendant plusieurs années, il a été monteur de cadres. Lors des deux dernières années, son employeur a allégé son travail et il assemble des pièces. 

«Je vais rester aussi longtemps que je vais être capable d’être debout! J’ai dit aux gars: “même en marchette, je vais venir travailler, s’il le faut!”», affirme le vaillant travailleur. 

La flexibilité demeure le point central du maintien ou du recrutement de ces employés. 

Respecter les demandes

«C’est sûr qu’il faut faire un baccalauréat en Tetris avec les horaires, mais les Beaucerons on est capable!», lance M. Poulin. 

Selon lui, il faut aussi respecter les demandes du personnel et ne pas tester leurs limites. 

«Quand j’ai des heures supplémentaires, je ne leur demande pas. Ils vont me dire oui, mais ils vont peut-être s’en aller après. Ils ne veulent pas faire des 60 heures. Il faut les respecter. Il faut apprécier le temps où ils sont là», explique-t-il. 

Source: Journal de Québec

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