Un vieux truc

22 avril 2017 – Michel David – Le Devoir

Le commun des mortels avait découvert à l’automne 2006 un aspect du système de santé qu’on avait caché comme une maladie honteuse. Pour masquer une réalité passablement embarrassante pour le gouvernement Charest, le trop-plein des urgences était déversé dans ce qu’on appelait pudiquement des « unités de débordement ».

Mises sur pied dans la plus grande discrétion, elles étaient devenues monnaie courante un peu partout au Québec. Cette astuce permettait au ministre de la Santé, Philippe Couillard, qui était l’homme fort du cabinet, de présenter des statistiques plus compatibles avec l’engagement pris par le PLQ durant la campagne électorale de 2003. Un gouvernement libéral allait régler le problème des urgences dans les semaines qui suivraient l’élection, avait-on promis.

Tous les espaces disponibles étaient réquisitionnés pour y entasser des dizaines de patients qui n’étaient pas comptabilisés dans les chiffres officiels, puisqu’ils étaient théoriquement hospitalisés. Sous le couvert de l’anonymat, un médecin de l’hôpital du Sacré-Coeur, dont une des patientes poireautait depuis dix jours dans l’attente d’un lit, avait déclaré à La Presse : « Le palmarès des urgences, c’est du camouflage. » À l’Assemblée nationale, M. Couillard était pourtant catégorique : « C’est très clair, ça va mieux dans la grande majorité des urgences. »

Une fois le chat sorti du sac, il avait fait valoir que c’était « fondamentalement une bonne façon de gérer les débordements à l’urgence ». L’accusant de « leurrer la population », un groupe d’infectiologues avait aussitôt répliqué qu’une unité de débordement constituait au contraire le site idéal pour la propagation des infections.

La situation était telle que les chefs des urgences de trois hôpitaux montréalais avaient remis leur démission. Pour dénouer la crise, M. Couillard avait organisé une rencontre avec la « Table des chefs d’urgence » de la région, où on avait convenu de nouveaux « protocoles de surcapacité », qui permettraient de répartir les patients des urgences sur les étages supérieurs. « Bien sûr, il s’agit d’une solution d’appoint et non pas à long terme »,avait expliqué le chef du département de médecine d’urgence du CHUM. Bien sûr…

Dix ans et quatre élections générales plus tard, M. Couillard est devenu premier ministre, mais le problème n’a toujours pas été réglé. Les intervenants du réseau de la santé adressent exactement les mêmes reproches à Gaétan Barrette, la seule différence étant que le ton est un peu plus virulent. Conçues au départ pour soulager les urgences durant les périodes d’achalandage particulièrement élevé, les unités de débordement semblent en être devenues des annexes permanentes.

« C’est le bordel. C’est la panique totale. C’est rendu que bien paraître est plus important que le bien-être des patients », a lancé la présidente locale du syndicat l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux au CISSS de la Montérégie-Centre.

D’un tempérament moins placide que le premier ministre, M. Barrette, qui a également une conception différente du « dialogue », a piqué une sainte colère la semaine dernière après avoir constaté que la situation ne s’était pas améliorée, malgré une injection additionnelle de 100 millions pour libérer des lits dits de « courte durée », qui sont occupés par des patients en attente d’une place dans un centre hospitalier. Une solution devait être trouvée sur-le-champ, a-t-il intimé aux administrateurs des établissements.

Craignant la fureur de l’irascible ministre, qui a instauré un véritable régime de terreur dans le réseau, ils ont fait leur possible pour sauver les apparences, à défaut de pouvoir régler le problème. Au Centre hospitalier régional de Lanaudière, un médecin a confié à La Presse qu’une nouvelle unité de débordement avait été ajoutée à l’ancienne, qui débordait à son tour. On rirait presque de ce bricolage si ce n’était pas si navrant.

Selon un porte-parole syndical, « l’espace entre les civières est si petit qu’il faut se tourner pour passer ». Bien entendu, l’opposition s’est empressée de renchérir. À quand des civières dans les cafétérias des hôpitaux ? a demandé le porte-parole de la CAQ en matière de santé, François Paradis.

Au bureau de M. Barrette, on assure pourtant n’avoir aucune indication que les établissements font du camouflage. « L’objectif est que les patients soient dirigés vers les ressources appropriées »,explique-t-on. Encore faudrait-il qu’elles existent. Le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, évalue à 5000 le nombre de lits qui ont été fermés en centre d’hébergement depuis une dizaine d’années.

Certes, cette triste situation est bien antérieure à l’entrée de M. Barrette en politique. S’il est aussi incapable de trouver une solution que l’était M. Couillard, il pourrait au moins donner l’heure juste. Cela serait déjà un progrès.

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