Salaire des médecins : Pas assez payés, vraiment ?

Alain Dubuc –  La Presse+

Le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), a affirmé publiquement, cette semaine, que ses membres n’étaient pas assez payés, pour ajouter : « On pense que le salaire des médecins de famille doit être augmenté. »

On se pince. On croit rêver. Depuis deux ans, on est au cœur d’un débat sur l’explosion du salaire des médecins, sur des ententes secrètes, sur les abus de certains d’entre eux, comme les frais accessoires, et le président de la FMOQ nous dit candidement qu’il en veut encore plus ? C’est si fou qu’on se demande s’il faut rire ou s’indigner.

Le syndicaliste médical misait sans doute sur le capital de sympathie dont jouissent ses membres. Il pensait peut-être lancer habilement un pavé dans la mare des négociations salariales à venir avec le gouvernement. Mais il découvrira rapidement que la pierre se transformera en boomerang.

Parce que si les gens ont de la reconnaissance pour leur médecin, ils n’ont aucune espèce de sympathie pour les médecins pris collectivement avec leur insupportable corporatisme.

Bien sûr, il y a un raisonnement derrière. Si la rémunération des généralistes a augmenté de façon significative, soit 21 % en cinq ans, celle des spécialistes a augmenté encore plus. Tant et si bien que l’écart de salaire entre les spécialistes et les généralistes s’est accru pour passer de 44 % à 67 %.

M. Godin y voit donc une question d’équité. Une belle notion, qui a l’avantage d’être élastique, car elle dépend des bases de comparaison. M. Godin choisit commodément l’approche syndicale classique, que j’appellerais la parité à géométrie variable, consistant à se comparer à ceux qui ont le salaire le plus élevé, dans ce cas-ci, les spécialistes. Selon la FMOQ, l’écart raisonnable avec eux serait de 20 %.

Mais il y a d’autres façons de mesurer l’équité. La plus solide consiste à regarder combien les médecins gagnent ailleurs, pour avoir une idée de ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Les dernières négociations reposaient d’ailleurs sur ce critère, le rattrapage avec le reste du Canada.

Il n’existe pas d’étude complète sur la question. On dispose toutefois des statistiques de l’Institut canadien d’information sur la santé, auxquelles il manque probablement des éléments pour tenir compte des différences entre les systèmes de rémunération et des pratiques de chaque province.

Ces données montrent que les généralistes québécois touchent un peu moins que leurs collègues canadiens, soit 310 000 $ contre 338 605 $ en 2015. Il est normal que les Québécois gagnent moins, étant donné la différence du niveau de vie et du coût de la vie. Cet écart de 9 % est même un peu faible, mais en gros, la rémunération des généralistes québécois est équitable, quoique leur charge de travail semble moins lourde.

Les spécialistes québécois, par contre, touchent plus que leurs collègues canadiens : 380 831 $ contre 370 605 $. Ça, ce n’est pas normal. Sur la base de ces données, on peut dire que nos spécialistes touchent, au minimum, quelque part entre 15 % et 25 % de trop, selon les critères que l’on utilise.

Autrement dit, comme nos spécialistes semblent être trop payés à l’échelle canadienne, nos omnipraticiens demandent d’être trop payés eux aussi !

Spontanément, on aura tous pensé qu’il y a une autre façon de tendre vers une plus grande équité entre les deux classes de médecins, mais le président de la FMOQ s’est empressé de l’écarter : « Je ne dirai jamais qu’il faut réduire les revenus des spécialistes. »

Bref, les négociations entre les médecins et le gouvernement semblent vouloir déraper avant même d’avoir commencé. Comment partir du bon pied ? Selon moi, en respectant trois principes.

Premièrement, négocier sur la base de faits probants. Le premier ministre Couillard dit qu’il y a eu rattrapage avec le Canada. Cependant, les chiffrent disent qu’on a trop rattrapé. Ça prend des études solides sur la rémunération de nos médecins, des comparaisons fiables avec les autres systèmes de santé, pour savoir où on en est et où on veut aller.

Deuxièmement, négocier avec les bonnes personnes. Il y avait un malaise à ce que le ministre Gaétan Barrette représente le gouvernement quand il était il n’y a pas si longtemps de l’autre côté de la table. Ce problème est réglé. C’est le président du Conseil du trésor qui sera chargé du dossier.

Troisièmement, négocier en public. Le ministre Barrette, même si ce n’est plus son dossier, a réagi aux propos de M. Godin en disant : « C’est un sujet qui va se traiter à la table de négociations, et la négociation ne se fera pas sur la place publique. » On ne veut pas d’un autre « deal » en dessous de la table. Tout ne doit pas évidemment se négocier en public, mais les grands objectifs, les principes et les cibles sont d’intérêt public et devraient être débattus sur la place publique.

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