13 mars 2017 |Florence Sara G. Ferraris | Actualités en société – Le Devoir
Loin de la plupart des services, les quartiers résidentiels des banlieues nord-américaines n’ont pas été conçus pour répondre aux besoins d’une population en perte d’autonomie.
Les personnes âgées n’ont jamais été aussi nombreuses au Québec. Mais alors que leur poids démographique ne cesse d’augmenter, les villes, surtout en banlieue, peinent à s’adapter aux besoins des 65 ans et plus qui désirent vieillir là où ils ont vécu, même quand ils perdent leur mobilité.
Huguette Lapierre se souvient encore du jour où elle a emménagé dans sa maison à Fabreville, dans le nord de Laval. C’était il y a plus de 40 ans. « Le quartier a tellement changé depuis ce temps-là, lance-t-elle, un sourire dans la voix. Derrière chez nous, il n’y avait que des arbres. Maintenant, il y a des maisons partout. »
Toujours installée dans son bungalow lavallois avec son conjoint, la dame aujourd’hui âgée de 72 ans espère qu’ils pourront y demeurer le plus longtemps possible, du moins tant que leur santé le leur permettra. « C’est chez nous ici. On a élevé nos enfants dans cette maison, ils sont allés à l’école du quartier, j’ai toujours fait mes courses à l’épicerie du coin… Pourquoi j’aurais envie de partir ? Pour aller m’installer à Montréal ? Il n’en est pas question ! »
Plus actives et, surtout, en meilleure forme que les générations qui les ont précédés, les personnes âgées d’aujourd’hui sont de plus en plus nombreuses à souhaiter demeurer dans le quartier qu’elles ont choisi au début de leur vie active. Et cela reste vrai même quand ces couples décident de quitter la maison familiale au profit d’un logement plus petit. « C’est un réflexe normal, reconnaît Paula Negron, codirectrice de l’Observatoire de la mobilité durable. Au fil des ans, les gens ont développé des habitudes, ils se sont construit des réseaux sociaux… Ce n’est pas surprenant qu’ils souhaitent rester dans un environnement qu’ils connaissent. »
Source: Institut de la statistique du Québec
Milieux inadaptés
Là où le bât blesse, c’est quand leur mobilité commence à être défaillante. Loin de la plupart des services, les quartiers résidentiels des banlieues nord-américaines n’ont pas été conçus pour répondre aux besoins d’une population en perte d’autonomie. Or, cette dernière est une conséquence naturelle du vieillissement.
« À terme, même si cela se fait plus lentement aujourd’hui, ces gens vont perdre certaines de leurs capacités, précise celle qui est également professeure à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal (UdeM). Et parmi celles-là, il y a la perte du permis de conduire. Cela pose un problème de taille en banlieue parce que c’est généralement le mode de déplacement principal, quand ce n’est pas le seul. »
Dans leur forme actuelle, avec leurs larges boulevards réservés au transit automobile et leur service de transport collectif souvent défaillant, les banlieues n’arrivent pas encore à répondre aux besoins de leurs résidants les plus âgés. « Ces villes se sont développées dans un contexte de généralisation de l’automobile, rappelle Glenn Miller, associé principal de l’Institut urbain du Canada de Toronto. Contrairement aux quartiers centraux des siècles précédents, elles ont donc été pensées et construites à une échelle beaucoup plus grande. Une échelle qui prend en compte le fait que tout le monde peut se déplacer en voiture. »
Source: Institut de recherche en politiques publiques
Cette présomption faite, les zones commerciales n’ont bien souvent pas été développées à distance de marche des quartiers résidentiels. Même chose pour les secteurs d’emploi. « Ces municipalités ont été construites en silo : chaque usage y a une place distincte, précise le chercheur à qui l’on doit, notamment, une récente étude, publiée par l’Institut de recherche en politiques publiques, sur la manière dont ces milieux doivent maintenant repenser leurs aménagements en fonction du vieillissement de la population. Il est donc bien souvent impossible de faire ses courses dans son quartier ou d’avoir accès à un médecin, par exemple. »
Repenser le territoire
Cela ne veut toutefois pas dire qu’il est impossible de les transformer. D’un océan à l’autre, les initiatives pour adapter ces environnements urbains aux besoins des personnes âgées se sont multipliées au cours des dernières années, tant à l’échelle locale que nationale.
En ce sens, le ministère de la Famille québécois a mis sur pied en 2008 le programme d’aide « Municipalité amie des aînées » pour encourager celles-ci à intervenir en tenant compte de cette nouvelle réalité. Ce dernier vise notamment à soutenir le « maintien à domicile [des personnes âgées] et leur inclusion sociale grâce à l’adaptation des politiques, des infrastructures et des services municipaux ».
Source: Société de l’assurance automobile du Québec
Sur le terrain, ce programme a permis à des dizaines de municipalités, dispersées aux quatre coins de la province, de revoir par exemple leur signalisation ou d’aménager des espaces publics plus invitants pour les aînés. Dans d’autres cas, des banlieues ont plutôt décidé d’utiliser ces fonds pour offrir gratuitement leur service de transport collectif aux personnes âgées.
Selon Glenn Miller, ces changements sont encore toutefois insuffisants pour faire des banlieues des endroits réellement propices au vieillissement. « Il faut aller plus loin que de simplement ajouter des bancs de parc, explique le chercheur. Comprenez-moi bien, ces initiatives sont excellentes, mais elles n’améliorent pas vraiment le quotidien de ces gens. Ce que les pouvoirs publics doivent faire c’est, par exemple, autoriser l’implantation de commerces de proximité dans les quartiers résidentiels ou, à l’inverse, permettre à des promoteurs de développer de nouveaux espaces locatifs à proximité des centres commerciaux. C’est revoir de fond en comble les plans d’aménagement de ces villes. »
« Pour que les banlieues deviennent vraiment des endroits où il fait bon vieillir, il faudra faire plus que d’allonger les temps de traverse et sécuriser les intersections, renchérit Paula Negron, en soulignant, elle aussi, l’importance de ces changements ponctuels. Il faut qu’il y ait une réelle réflexion sur les usages que l’on fait au quotidien de la ville. Il faut que les banlieues soient plus que des lieux de résidence, elles doivent devenir de véritables milieux de vie. »