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Opinion Rémunération médicale Un cas de non sequitur ?

Denis Soulières, MD, MSc, FRCP, CHématologue et oncologue médical, Centre hospitalier de l’UDM – La Presse – 17 mars 2018

On ne dénombre plus les articles qui ont qualifié ou « expliqué » le niveau de rémunération des médecins et la tarification à l’acte. Sans aller jusqu’à qualifier de fake news plusieurs affirmations, permettez-moi de suggérer que certaines conclusions sont non sequitur, c’est-à-dire sans lien direct avec les prémisses.

Tentons donc de dégager certains éléments pour revenir sur quelques conclusions qui sont probablement un peu trop faciles et pas adéquatement argumentées. La preuve est une nécessaire inférence en médecine et en science, de même qu’en philosophie. Il est important d’appliquer ces principes lorsqu’on vise à démontrer une relation de cause à effet.

Je ne contesterai pas ici le fait que les médecins sont bien payés. Cependant, il faut bien comparer les oranges avec les oranges lorsqu’on discute du sujet.

La masse salariale négociée par les fédérations et le gouvernement n’est pas divisée également entre les médecins. Voici donc quelques faits qui doivent nécessairement être évoqués lorsqu’on discourt de ce sujet.

La masse monétaire

Une partie de la masse monétaire négociée entre le gouvernement et les fédérations médicales sert à rembourser des frais pour l’activité de cabinets privés, déplaçant ainsi des sommes qui devraient être déboursées par le réseau public si ces activités médicales avaient lieu dans les hôpitaux, CLSC, etc.

Cela ne représente pas la majorité de la masse monétaire dévolue aux médecins, mais mérite tout de même d’être distingué.

Refuser de reconnaître ces frais et les augmentations régulières qui y sont liées (inflation, augmentation des salaires des employés, fournitures et loyers, etc.) serait un déni par le gouvernement du contrat qu’il a établi depuis l’instauration du système de santé voulant que les médecins participent à la dispensation de soins sans pour autant être obligatoirement liés à une pratique hospitalière qui demande une infrastructure lourde et coûteuse.

Le nombre de médecins en pratique

Rappelons aussi que les gouvernements successifs ont décidé d’augmenter le nombre de médecins en pratique depuis la fin des années 90.

Ainsi, une partie de la majoration de la masse va au paiement de l’ajout net de médecins, puisque le nombre de nouveaux arrivants dépasse le nombre de ceux qui quittent l’exercice de la médecine.

Je reviendrai plus loin sur la pertinence ou pas de cette augmentation de l’effectif médical, mais spécifions de prime abord qu’elle est la résultante de décrets gouvernementaux définissant non seulement le nombre de nouveaux étudiants, mais aussi le ratio spécialistes/médecins de famille et le nombre d’entrées dans chaque spécialité médicale.

Le gouvernement et le ministère de la Santé ne pouvaient donc pas, en conséquence, se décharger du paiement des nouveaux médecins qui amorcent leur pratique puisque ceci aurait été nier ses engagements à offrir une plus grande offre de services qui exige, selon l’estimation même du gouvernement, un plus grand nombre de médecins.

La productivité

Le décret gouvernemental qui statue sur le nombre de médecins nécessaires est aussi, partiellement, établi à partir de données qui démontrent que, depuis bien des années, la féminisation de la profession est associée à une réduction de la productivité telle que définie par Damien Contandriopoulos et al.

La féminisation de la profession n’affecte pas que l’effectif féminin.

Il appert qu’il existe un effet de génération démontrant bien que non seulement les femmes, mais aussi les hommes plus récemment diplômés ont une pratique différente et qui ne cadre pas dans la définition productive de M. Contandriopoulos ou autre commentateur qui ont rapidement conclu à la non-productivité du corps médical.

Cet effet de modification de la pratique est plus senti au Québec qu’ailleurs au Canada parce que notre province compte le plus grand contingent de femmes en pratique, ce dont on devrait s’enorgueillir plutôt que de s’en servir pour tirer des conclusions non sequitur.

Notons qu’aucun congé de grossesse ou de maternité spécifique n’existe au Québec pour les médecins, alors que cela existe dans bon nombre de provinces canadiennes. Ces « congés » pris volontairement viennent encore réduire les statistiques québécoises lorsque l’on fait l’analyse du nombre de jours travaillés et d’actes produits annuellement.

La notion que l’on nomme équivalent temps plein ou ETP (défini par le gouvernement comme toute personne ayant une facturation de plus de 50 000 $/an) est d’ailleurs complètement faussée au Québec parce que peu de données fiables permettent de tenir compte de congés de maladie, semi-retraites ou autre, encore une fois à l’encontre de ce qui est parfois fait ailleurs au Canada, principalement dans les hôpitaux, où la notion d’ETP tient souvent compte de remplacement pour les divers congés généralement consentis aux employés.

De plus, sans avoir de preuve formelle, le vieillissement de la population qui est plus ressenti et factuel au Québec que pour la moyenne du Canada semble aussi contribuer à la baisse de productivité, puisqu’il s’agit d’une clientèle plus vulnérable et qui nécessite plus de temps (donc moins d’actes médicaux posés).

Les coupes dans le système

Bien sûr, de multiples autres paramètres peuvent influer sur la productivité et je n’ai mentionné ici que des éléments fort évidents pour les observateurs de l’évolution de la pratique médicale. Chaque spécialité médicale a des cas d’espèce, mais j’ai présenté ici comme facteur populationnel le vieillissement de la population qui affecte à peu près également la plupart des spécialités médicales.

Par contre, il y a aussi tous les facteurs qui sont liés au système de santé lui-même. Les restrictions aux soins ne sont généralement pas d’origine médicale, mais généralement liées à la gestion du système de santé.

Il n’est pas rare que des actes ne soient pas posés, que des interventions soient reportées en raison de la restriction des ressources dans le système de santé.

Les médecins ont donc en conséquence plus de jours sans travailler ou à travailler plus partiellement, au-delà de leur décision personnelle de réduire leur présence auprès des patients. Ces décisions de gestion du gouvernement et des hôpitaux n’ont donc rien à voir avec les postulats voulant que la rémunération à l’acte soit la cause de tous les problèmes.

Au contraire, bien des médecins ont décidé il y a plus de 10 ans d’opter pour un mode mixte de rémunération qui est basé sur leur présence en hôpital et non pas seulement sur les actes qu’ils posent. L’étude de M. Contandriopoulos est incapable d’ajuster la productivité en fonction de cette importante donnée puisque les actes payés dans ce mode de rémunération diffèrent d’une spécialité à l’autre. Ici encore, les conclusions portées sont, à mon avis, non sequitur, sans lien formel entre les faits rapportés ou suggérés comme étant la cause des résultats observés.

L’organisation des soins et la masse monétaire

L’historique de l’organisation des soins au Québec et l’existence de masses monétaires sont intimement liés et doivent être mis en contexte. Contrairement aux autres provinces, le Québec a gardé un modèle hospitalo-centriste, donnant des mandats généraux aux hôpitaux d’offrir les soins nécessaires à la population, simplement en ajustant le budget annuellement sans demande d’un rapport annuel de toutes les activités produites et prévues.

De fait, le Ministère, pendant des décennies, et même encore aujourd’hui, demeure peu informé et avisé sur ce qui est réellement « produit » dans le réseau de la santé par manque de données structurées.

Le gouvernement s’est déchargé, depuis l’instauration de l’assurance maladie, d’une grande partie des décisions sur les orientations des soins médicaux prioritaires à offrir à la population.

Il a délaissé en bonne partie cette responsabilité aux fédérations médicales qui agissaient en modifiant les types d’actes médicaux et leurs valeurs partiellement relativement à l’évolution observée dans chaque spécialité médicale ou domaine de la pratique familiale. Les négociations avec le gouvernement ne venaient qu’affecter à la marge les argents ainsi dévolus à des actes spécifiques dans la rémunération globale des médecins.

Rappelons aussi que les autorités hospitalières se sont toujours basées largement sur l’expertise du corps médical pour organiser et planifier localement les soins en fonction des besoins perçus localement, mais aussi pour décider de la mise en place de soins de pointe qui dépassent le cadre de soins à offrir à la population limitrophe.

Il n’y a donc jamais eu au Québec de réseau formel définissant les devoirs exacts de chacun, que ce soit médecin ou hôpital, et cette absence de direction a probablement mené à des écarts par rapport à ce qui est réellement nécessaire.

Et il faut même se questionner à savoir si la détermination du nombre de médecins n’est pas dans les faits basée plus sur des perceptions ponctuelles que sur des besoins formellement évalués dans un contexte de soins et services que l’on veut offrir à la population. L’absence d’un réel réseau, dans lequel on saurait selon un plan exact qui doit faire quoi, aboutit à un système au sein duquel chaque hôpital continue encore, à ce jour, à faire des demandes pour accueillir de nouveaux médecins et modifier son offre de soins en fonction des objectifs que l’hôpital se donne localement.

Les fédérations médicales sont donc probablement « coupables » d’avoir agi à double titre, soit de promoteur des intérêts professionnels et financiers de leurs membres, et de gestionnaires de facto d’un réseau de la santé dont l’administration n’a pas les moyens ou l’aptitude de définir de réels objectifs de santé pour la population québécoise.

La comparaison salariale avec le reste du Canada

Je n’ai pas personnellement les connaissances et l’expertise pour déterminer et définir si le salaire offert aux médecins du Québec est juste et respecte l’index de richesse de la province. Je sais simplement que de faire des comparaisons directes et non circonstanciées mène à des conclusions qui risquent fort d’être non sequitur.

Je ne remets pas ici en question que les médecins sont bien rémunérés.

Par contre, contrairement aux autres provinces, il n’est pas difficile de constater que les médecins consacrent temps et argent à faire des actes, médicaux et administratifs, qui auraient tout avantage à être faits par d’autres membres du personnel.

Des actes sont aussi répétés inutilement du même fait de cette insuffisance de cohérence du réseau.

Notons cependant spécifiquement ceci : la valeur d’un acte ne définit pas singulièrement le rôle des médecins, lequel n’est pas inscrit dans les livres de tarification établis entre les fédérations et la RAMQ. Ainsi, pour vraiment mesurer l’impact de la présence des médecins dans le réseau, il suffit de circuler dans les hôpitaux ou autres lieux de soins pour constater à quel point tout fonctionne encore en se basant sur le désir des autorités d’instaurer une organisation dans laquelle la responsabilité retombe largement sur les épaules des médecins. En effet, si des soins sont coupés par l’hôpital, il incombe aux médecins de trouver des solutions, même s’ils n’ont aucun moyen ou pouvoir pour faire changer les décisions des autorités.

C’est ce niveau de responsabilisation qui est ultimement compensé par la RAMQ, et pas chacun des actes pris individuellement. Si et lorsque le partage des responsabilités sera défini par des conditions d’exercice spécifiques, il sera alors possible de discuter de la valeur réelle de chaque acte médical.

Élargir le débat

La rémunération des médecins représente une part importante du budget provincial et mérite qu’on en débatte, mais cela ne peut se faire isolément des décisions gouvernementales dans le réseau de la santé.

D’ailleurs, le salaire des médecins sert de valeur étalon qui aide en partie à déterminer le salaire des autres professionnels de la santé.

Le gouvernement, et c’est son rôle, a donc des choix à faire qui concernent le détail du niveau de financement qui doit être consenti en fonction d’objectifs de santé qui, eux, bien qu’ils soient aussi de leur responsabilité, sont largement élusifs en l’absence d’une réelle politique de santé visant l’amélioration du bien-être des Québécois.

Il est largement temps de proposer des voies de solution pour permettre de valoriser au maximum l’argent que non seulement le gouvernement, mais chaque Québécois consacre au bien-être physique de la population dans un contexte collectif, tout en respectant la valeur de tous les acteurs impliqués, médecins et autres.

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