Le verdict sur la gestion du réseau
La loi 41 est entrée en vigueur le 20 juin 2015 au Québec et elle autorise les pharmaciens à exercer sept nouvelles activités. Au même moment, les pharmaciens de la province ont consenti à subir des ponctions d’honoraires de 400 millions alors que le ministre Barrette s’engageait à lever le plafond de leurs allocations professionnelles, soit les ristournes que peuvent verser les fabricants de médicaments génériques aux pharmaciens. Mais en avril 2016, le ministre Barrette a fait volte-face et déposé un règlement imposant la levée partielle et progressive du plafond des allocations. Depuis le 28 janvier, le plafond de ristournes est totalement levé, et les fabricants de médicaments génériques peuvent verser les sommes qu’ils veulent aux pharmaciens.
Pour les experts consultés par La Presse, le ministre fait erreur en ne considérant pas les pharmaciens suffisamment comme une partie prenante du réseau de la santé. « Les pharmaciens sont des praticiens de première ligne très importants. Ils sont souvent les premiers contacts des patients », souligne M. Lamarche. Parce que leur service professionnel n’est pas assez rémunéré par le gouvernement, les pharmaciens se tournent vers les ristournes pour compenser ce manque, une pratique qui crée un dangereux lien de proximité entre pharmaciens et fabricants de médicaments génériques et qui mériterait d’être abandonnée.
« On développe des solutions pour compenser le fait que l’enveloppe de la santé est majoritairement prise par les médecins et les hôpitaux […], analyse Mme Castonguay. Il faut réévaluer les enveloppes pour offrir un système optimal. Il faut reconnaître que l’offre pharmaceutique fait partie du système global. »
En juin 2016, la loi 81 du ministre Barrette a été adoptée, permettant au gouvernement de lancer des appels d’offres pour l’achat de médicaments afin d’obtenir le meilleur prix.
Les experts saluent l’initiative du ministre de baisser le prix des médicaments en procédant à des appels d’offres. Mme Castonguay écarte d’ailleurs les craintes de monopoles évoquées par certains critiques : « On n’est pas une juridiction qui ne peut pas aller acheter ailleurs », dit-elle. Les experts notent toutefois qu’aucune réflexion ne semble être faite sur la surprescription, alors que le Québec est l’une des provinces qui prescrit le plus par patient au pays. « Jamais le ministre ne s’attarde à cette question de la surprescription qui pourrait sauver des milliards de dollars », estime M. Lamarche.
Adoptée en février 2015, la loi 10 a modifié profondément la gestion du réseau de la santé. Résultat de la fusion de l’administration des hôpitaux, des centres jeunesse, des centres d’hébergement et des autres établissements de santé, le nombre d’établissements du réseau est passé de 182 à 34. Parmi les autres changements apportés, les présidents-directeurs généraux des établissements fusionnés sont maintenant nommés par le ministre lui-même. Peu avant Noël, ce dernier a aussi déposé le projet de loi 130, qui vise à renforcer les obligations des médecins envers les établissements où ils pratiquent.
Pour M. Lamarche et Mme Castonguay, la centralisation extrême des pouvoirs amenée par la loi 10 va totalement « à l’encontre de la science ». « Avoir un réseau intégré est une bonne idée. Mais la tendance est plutôt de définir les objectifs de façon centrale, et de décentraliser la gestion. Car tous les milieux ont des besoins et des solutions différentes. Prendre toutes les décisions centralement inhibe la créativité », explique Mme Castonguay. M. Lamarche déplore qu’avec la loi 10, « la gouvernance plus démocratique ou communautaire ait complètement disparu ».
M. Denis n’est, quant à lui, « pas allergique à la notion d’intégration structurelle ». Il explique qu’avant la loi 10, les établissements du réseau de la santé promettaient de « travailler ensemble », « mais ça ne s’est pas passé à une échelle spectaculaire ». M. Denis explique toutefois que l’intégration structurelle à elle seule « ne donne pas de résultats ». « Ça peut même distraire si c’est fait de façon trop brutale », dit-il.
Après avoir voulu encadrer les frais accessoires, le ministre Barrette a reculé et a annoncé leur abolition. Les frais accessoires sont interdits depuis le 26 janvier.
Au moment où nos experts rendaient leur verdict, le 24 janvier, le ministre en était encore à peaufiner les détails de la mise en place de l’abolition des frais accessoires, et la confusion régnait sur ce qui serait couvert ou non. Les experts ont donc préféré s’abstenir d’évaluer ce critère.
Dès son entrée en poste, le ministre a géré des budgets minceur en santé. Depuis 2014, il a effectué des compressions de près de 1 milliard de dollars. Il a, entre autres, retranché 24 millions en santé publique, a fait disparaître la fonction de Commissaire à la santé et au bien-être et le programme de procréation assistée tout en devant assumer les importantes hausses de rémunération des médecins consenties ces dernières années. Aujourd’hui, le ministre estime que ces compressions ont permis de dégager des sommes pouvant être réinvesties en santé. Le prochain grand chantier annoncé par le ministre est d’implanter le financement à l’activité dans le réseau. Enfin, au cours des derniers mois, une première Politique gouvernementale en prévention en santé a été adoptée de même qu’un Plan d’action en santé mentale.
Les experts mettent en doute le choix du ministre de faire des coupes « surtout dans le social et le communautaire » et d’investir dans « le supermédical et le superhospitalier ». Malgré l’adoption d’un plan en santé mentale, l’accès aux psychologues dans le réseau public est de plus en plus difficile, note M. Lamarche, qui ajoute que les ressources communautaires subissent aussi des coupes. Pour M. Lamarche, plusieurs décisions du gouvernement sont « plus idéologiques que financières ». « La santé publique, c’est 1,5 % du budget de l’État. En comparaison, les hausses de rémunération des médecins ont été de 1,7 milliard… », illustre-t-il.
Les experts condamnent aussi unanimement la disparition du Commissaire à la santé et au bien-être. « On a enlevé le seul instrument de transparence. C’est épouvantable », commente Mme Castonguay. Quant à la réflexion sur le financement à l’activité, les spécialistes estiment que l’idée n’est pas mauvaise. Mais les prix devraient être fixés en fonction d’épisodes de soins, et non pas par acte médical. Les experts croient que toute réflexion sur le financement doit s’accompagner d’une discussion sur la rémunération médicale, mais aussi aller plus loin. Car selon M. Denis, « un des gros problèmes au Québec, c’est qu’on essaye de gérer des modèles performants de soins en jouant juste ou presque sur la rémunération des médecins ».