Santé: Plus d’échecs que de réussites

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Plus d’échecs que de réussites

Trois experts en gestion de la santé ont analysé à la demande de La Presse les nombreuses réformes réalisées par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, depuis son arrivée en poste, il y a près de trois ans. Leur constat est sévère : aucun ne donne la note de passage au ministre pour les changements imposés dans le réseau.

Joanne Castonguay, de l’Institut de recherche en politiques publiques, Jean-Louis Denis, du Centre de recherche du CHUM, et Paul A. Lamarche, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ont évalué de façon qualitative 10 secteurs visés par les réformes du ministre, dont les soins de première ligne, les pharmaciens et l’attente aux urgences.

Pour chaque secteur visé, ils ont évalué les mesures mises en place par M. Barrette pour savoir si celles-ci permettent ou non d’améliorer la performance du réseau de la santé.

Éclairer le débat

Dans une entrevue accordée au quotidien Le Soleil en décembre dernier, le ministre Barrette disait avoir mis en place 90 % des « mesures structurantes » qu’il souhaitait implanter dans le réseau.

« Alors moi, écoutez bien, tout le monde peut bien m’écœurer, mais je vais continuer pareil. […] Envers et contre tous. Parce que ça fonctionne »

— Gaétan Barrette, dans une entrevue accordée au Soleil

Si le ministre semble confiant, il en va autrement des syndicats de travailleurs de la santé et des groupes de pression, notamment des associations de médecins et autres professionnels, qui sont nombreux à dénoncer les réformes du ministre.

Qui dit vrai ? Pour tenter de répondre à cette question, La Presse a consulté trois experts qui consacrent leur carrière à la recherche et à l’enseignement. Ils ont accepté de participer à l’exercice dans l’espoir de lancer une véritable discussion sur l’amélioration du réseau.

la tentation de « tout virer à l’envers »

En analysant les nombreuses actions du ministre Barrette, les experts estiment que la majorité de ses objectifs, comme améliorer l’accès aux soins de première ligne, sont « justes ». Mais ils soutiennent que les méthodes choisies pour les atteindre sont rarement les bonnes. Ils affirment que plusieurs réformes réalisées ne sont pas basées sur la science et les données probantes.

M. Denis explique que depuis des années, des « pressions se sont accumulées dans le système ». Devant ces pressions, comme l’attente chronique aux urgences ou l’accès difficile à un médecin, il est tentant de vouloir « tout virer à l’envers, sans trop de plan ». D’autres pays ont vécu ce même genre de phénomène en santé, dont l’Angleterre, pas toujours avec des résultats concluants.

Mme Castonguay explique que plusieurs études ont démontré que trois critères doivent impérativement être implantés pour qu’un système de santé puisse démontrer de bonnes performances. Il faut notamment une plus grande transparence par rapport aux résultats et aux coûts par cas dans le réseau, soit le prix des différents épisodes de soins au Québec. Des données qui ne sont pas accessibles actuellement.

« Le ministre peut dire que ce qu’il fait est le mieux. Mais tant qu’on n’a pas de transparence et d’information vérifiée, on ne peut pas savoir. »

— Joanne Castonguay

Pour améliorer la performance d’un réseau de la santé, une révision des mécanismes de financement doit être faite. À ce sujet, le ministre a promis d’implanter le financement à l’activité, note Mme Castonguay, qui attend la suite avec impatience. Enfin, les systèmes d’information doivent être intégrés pour que les patients aient notamment un seul dossier partout. Ce critère doit être rempli avec le Dossier santé Québec, attendu depuis des années.

« Sans ces trois éléments, il est extrêmement difficile d’améliorer la performance du système », dit-elle.

Plus critique

M. Lamarche est pour sa part très critique des réformes du ministre. Ce dernier explique que lors de l’implantation de réformes, trois grandes erreurs surviennent normalement. D’abord, il peut y avoir un problème de décision. « Ici, ce n’est pas ça. Le ministre décide », dit-il. La mise en place d’une réforme peut aussi être un problème. « Mais encore une fois, le ministre implante ses décisions », note M. Lamarche. Pour lui, l’erreur de M. Barrette en est une de conceptualisation.

« Les moyens utilisés ne sont pas appropriés par rapport aux objectifs visés. Il y a une erreur de conceptualisation majeure », dit-il.

« Il faut responsabiliser les collectivités, pas juste punir. Il faut faire en collaboration plutôt qu’en opposition. Il y a une erreur de conceptualisation et d’approche. »

— Paul Lamarche

Selon M. Lamarche, le ministre tente de « régler des problèmes du passé avec des solutions du passé ». « Je pense que les chances d’y arriver sont presque nulles, et cette position est supportée par presque toutes les évidences scientifiques », dit-il.

Écouter la science

Au-delà du constat d’échec qui est dressé, les experts souhaitent qu’une conversation s’établisse afin de réellement améliorer la performance du système de santé québécois. « La science est là. Il faut l’appliquer », dit Mme Castonguay.

S’il reconnaît être critique des réformes en cours, M. Denis refuse de lancer la pierre uniquement au ministre Barrette. Car le système de santé est « largement dysfonctionnel » depuis des années.

« On aurait pu être assis ici en 1994, en 2000, en 2005… Et on aurait aussi jugé sévèrement certains trucs. Pas exactement les mêmes qu’ici. Mais quand même, affirme M. Denis. […] Il faut se demander comment prendre l’organisation de la production actuelle et l’amener à être plus efficiente. »

Santé

Nos experts

Jean-Louis Denis

Professeur titulaire au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHUM, M. Denis est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance et la transformation des organisations et systèmes de santé. Il a été président du Conseil consultatif de l’Institut de recherche sur les politiques et les services de santé (2009-2012). Il est membre élu de la Société royale du Canada et de l’Académie canadienne des sciences de la santé.

L’École de santé publique de l’Université de Montréal se décrit comme un« pôle d’excellence et de réflexion critique sur tous les champs de santé publique ». À la fin de janvier, M. Denis a publié à la demande du Commissaire à la santé et au bien-être une recherche intitulée Rémunération médicale et gouvernance clinique performante : une analyse comparative.

Joanne Castonguay

Directrice de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Joanne Castonguay est économiste et s’intéresse depuis près de 20 ans aux politiques publiques et, notamment, aux questions des mécanismes de gouvernance en santé. En 2014, Mme Castonguay a notamment publié une analyse comparative sur l’entente de services entre la clinique Rockland MD à Montréal et l’hôpital du Sacré-Cœur.

Mme Castonguay est également professeure associée au Pôle santé HEC Montréal. L’IRPP se décrit comme un organisme « sans but lucratif et indépendant qui veut améliorer les politiques publiques en publiant des recherches et en éclairant les débats sur les grands enjeux publics ». L’IRPP est financé en partie par les gouvernements fédéral et provinciaux de même que par le secteur privé.

Paul A. Lamarche

Paul A. Lamarche est professeur honoraire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et professeur titulaire au département d’administration de la santé de l’Université de Montréal. Au cours des dernières années, M. Lamarche a mené plusieurs recherches sur l’organisation des services, les modes de financement et la performance des systèmes de santé. Avant de mener sa carrière de chercheur, M. Lamarche a notamment été sous-ministre associé à la santé et aux services sociaux sous différents gouvernements, tant libéral que péquiste, de 1977 à 1982 et de 1986 à 1992. De 1982 à 1986, M. Lamarche a été officier responsable de la planification et de l’évaluation à l’Organisation mondiale de la santé.

En mai 2015, il a participé à un rassemblement de 300 personnes à Montréal, organisé par le Regroupement des omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME), visant à trouver des solutions au projet de loi 20. En avril 2016, il demandait, conjointement avec d’autres anciens ténors du réseau de la santé, à la vérificatrice générale d’analyser les effets de la réforme du ministre Barrette. Deux mois plus tard, il demandait au premier ministre d’imposer un moratoire sur la réforme du ministre. Lors de ces sorties, M. Lamarche s’est défendu d’agir par partisanerie, disant au quotidien Le Devoir agir dans un « esprit démocratique et scientifique, mais pas partisan ».

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