Publié le 8 septembre – La Presse
Au cours des cinq dernières années, pendant qu’il habitait avec sa fille, Monsieur T., 92 ans, a souvent eu peur de manger les repas qu’elle lui préparait, craignant d’être empoisonné. Elle refusait de l’accompagner aux rendez-vous médicaux requis pour traiter une tumeur cancéreuse. Ne l’aidait pas à se relever quand il tombait sur le sol. Lui criait après sans raison.
L’histoire de Monsieur T., dont les abus perpétrés par sa fille sont révélés dans un document judiciaire obtenu par La Presse et dont les faits n’ont pas encore été prouvés en cour, n’est malheureusement pas unique.
Selon des données obtenues par La Presse, la ligne Aide Maltraitance Adultes Aînés du Québec a reçu plus de 800 appels par mois du 1er avril au 31 juillet 2024, en hausse de 39 % par rapport à l’an dernier.
Plus d’une fois par jour, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) intervient dans des cas de maltraitance envers des aînés dans la métropole. Les crimes peuvent concerner de la maltraitance physique, psychologique et sexuelle, mais aussi financière. Dans chaque cas, une constante : un lien de confiance existe entre la victime et la personne qui en abuse.
« La forme la plus courante est la maltraitance psychologique. Mais il y a souvent plus d’une forme de maltraitance utilisée. Et la maltraitance psychologique peut être utilisée pour soutirer de l’argent à quelqu’un », explique Mélanie Couture, titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’Université de Sherbrooke.
La fille de Monsieur T. avait déménagé chez ses parents il y a cinq ans environ. Elle était responsable de leurs avoirs, puis de ceux de son père après la mort de sa mère. En avril 2023, Monsieur T. a remarqué un trou de 130 000 $ dans ses comptes en banque. Il a questionné sa fille. Quelques jours plus tard, celle-ci a obtenu un ordre de la cour pour que son père subisse une évaluation psychiatrique. Monsieur T. passera des semaines à l’Hôpital de Montréal, où l’on déterminera qu’il n’a « aucun problème de santé mentale ». Les médecins indiqueront même que « pour sa sécurité, il ne doit pas retourner à domicile si sa fille […] y demeure toujours ».
Perdre les économies d’une vie
Sergente détective au SPVM, Johanne Gauthier s’occupe de tous les cas de maltraitance envers les personnes vulnérables dans la métropole. Quand on lui demande s’il est juste de dire que les fraudes sont des crimes « sans violence », Mme Gauthier répond : « Pas pour moi. » « Les effets que je vois sur les gens, c’est épouvantable. J’ai toujours dit que c’est aussi pire qu’un crime contre la personne », dit-elle.
Souvent, les gens qui te fraudent, tu as un lien avec eux. Tu as confiance. Tu as développé une amitié. Ou c’est de la famille. C’est tout ce lien-là qui vient être brisé aussi dans la reconnaissance du crime. Psychologiquement, c’est très dur.
Johanne Gauthier, sergente détective au SPVM
Des victimes perdent les économies « de toute une vie ». D’autres voient leur état de santé et d’autonomie se dégrader rapidement après le crime. D’autres se suicident.
Quand de la maltraitance financière se déroule à l’intérieur d’une famille, le tout s’accompagne souvent de violence verbale ou physique. Comme dans le cas de Monsieur T.
Mme Gauthier ajoute que certains aînés vont signer une procuration à un proche pour qu’il s’occupe de leurs affaires et « vont se faire frauder parce qu’ils ne sont pas en mesure de faire les vérifications nécessaires ».
Plusieurs victimes sont souvent isolées par leur fraudeur.
Ça fait partie d’un pattern de fraude, isoler et intimider. Amener la victime à ne pas parler aux autres. En fait, les fraudeurs prennent le contrôle d’à peu près tout.
Johanne Gauthier, sergente détective au SPVM
Qu’est-ce qui amène un enfant à frauder ses parents ? Ou un aidant naturel à voler la personne dont il prend soin ? « Souvent, il y a des problèmes d’argent. De consommation. D’alcool. De drogue. Des problèmes de jeu… », énumère Mme Gauthier.
Mme Couture ajoute que les personnes qui maltraitent un proche ont souvent tendance « à donner préséance à leurs propres besoins ». « Dans le cas de la maltraitance financière, par exemple, les gens disent : “Ma mère n’a pas besoin de cet argent-là. Moi, oui” », dit-elle.
Certains enfants tentent de justifier leurs actes en disant que c’est une façon pour eux de se payer pour tous les services rendus à leurs parents. Ou que, de toute façon, ils ne font que récolter de l’argent dont ils hériteront plus tard. « Mais nous, on veut que les gens gardent leur argent jusqu’à la fin de leur vie s’ils en ont besoin », dit Mme Gauthier.
Obtenir de l’aide : Ligne Aide Maltraitance Adultes Aînés
1 888 489-2287 Consultez le site de la Ligne Aide Maltraitance Adultes Aînés