Sur la route Pas toujours facile d’être piéton l’hiver

20 février 2017 |Florence Sara G. Ferraris, Le Devoir

Avec ses chutes de neige et sa température en yo-yo, l’hiver change complètement le visage de la ville. Changements qui transforment, à leur tour, la mobilité des citadins. Mais alors que pour la plupart des gens ces variations saisonnières demeurent anecdotiques au quotidien, elles peuvent devenir une importante source de stress pour ceux qui peinent à se déplacer sans une aide quelconque.

 

Marielle Dagenais déteste prendre l’autobus. À 71 ans, elle n’a pourtant pas le choix d’opter pour ce mode de transport l’hiver, une ordonnance médicale l’obligeant à remiser sa voiture du 15 décembre au 15 mars. Rencontrée mardi dernier à un débarcadère situé à l’angle des rues Ontario et Frontenac, dans l’est de Montréal, la septuagénaire regarde sa montre, ne cachant pas son exaspération. « Je déteste attendre, lance-t-elle, en laissant échapper un léger soupir. J’ai l’impression d’avoir les jambes sciées. En tout cas, je peux vous dire que je compte les jours qui nous séparent du printemps ! »

 

Malgré son mécontentement évident, la vieille dame s’estime tout de même bien chanceuse de ne pas avoir eu à déneiger sa voiture au cours des derniers jours. « À mon âge, je n’aurais jamais eu la force de soulever toute cette neige, reconnaît-elle en contemplant les amoncellements glacés qui persistent toujours sur le trottoir, quelques jours plus tard. En fait, les jours de tempêtes, je les passe enfermé chez moi. C’est bien trop dangereux dehors. »

 

À l’heure actuelle, on compte plus d’un million et demi de personnes âgées de 65 ans et plus au Québec. Cela représente près d’un cinquième de la population, selon l’Institut de la statistique du Québec, une proportion qui n’a toutefois cessé d’augmenter au cours des deux dernières décennies. Sur ce nombre, ils sont plusieurs à limiter leurs déplacements à l’essentiel une fois les premiers flocons au sol.

 

Entre les trottoirs glissants et les amas de neige qui se posent en véritables obstacles, les raisons qui se cachent derrière cette propension à demeurer chez soi s’expliquent en grande partie quand on jette un oeil à l’état des infrastructures pour les piétons. « C’est quelque chose qui revient continuellement dans le cadre de nos recherches, soutient Anne-Marie Séguin, professeure-chercheure au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Les aînés voient l’hiver comme un moment difficile à passer, une période d’isolement qu’ils doivent traverser avec prudence. Il y en a plusieurs qui sont craintifs — et avec raison — de chuter, par exemple. Pour certains, ça peut devenir un facteur d’anxiété majeur. »

 

Iniquité saisonnière ?

 

À la base du problème se cache une série d’iniquités qui existent déjà, beau temps mauvais temps. « La ville n’a pas été conçue pour les plus vulnérables, insiste Jeanne Robin, co-porte-parole pour l’organisme Piétons Québec. Les intersections sont trop larges, les temps de traverses sont encore trop souvent calculés pour un adulte en pleine santé… Et les trottoirs ! C’est sans doute le meilleur exemple : ils sont tout en dénivellation, ponctués d’entrées charretières à tous les 50 pieds pour permettre aux voitures de circuler. » Et la fonte des glaces ne règle pas nécessairement le problème puisque les piétons doivent alors composer avec des accumulations d’eau.

85%

Chez les personnes âgées de 65 ans et plus, c’est la proportion des hospitalisations attribuables à des chutes.

Source: Coup d’œil sur la santé, Statistique Canada, octobre 2014

 

Au quotidien, note-t-elle, ces aménagements sont un frein aux déplacements des personnes âgées et, plus largement, des personnes à mobilité réduite. Et l’hiver, avec la météo qui s’en mêle, ces difficultés sont amplifiées au point où elles deviennent parfois insurmontables. « Je m’estime chanceuse d’être en bonne santé physique, affirme Jeanne Robin, parce que pour circuler sur les trottoirs l’hiver, il faut vraiment être un piéton tout-terrain. »

 

Rues résidentielles

 

À Montréal, les trottoirs sont entretenus au même rythme que les chaussées adjacentes selon la priorité (1 à 3) accordée à ces dernières. Seules exceptions : les intersections et les arrêts d’autobus qui, en vertu de la Politique de déneigement adoptée par la métropole en 2015, sont toujours dégagés en priorité dans les heures qui ont suivi la période d’accumulation de neige. « On voit qu’il y a des efforts de fait de la part des administrations municipales pour améliorer la situation, assure Marie-Josée Dupuis, chargée de projet Transport et mobilité à la Table de concertation des aînés de l’île de Montréal (TCAIM), un organisme qui siège, d’ailleurs, au comité déneigement de la Ville de Montréal. Mais les gens nous le disent, c’est encore loin d’être toujours suffisant. »

209,5

C’est le nombre de centimètres de neige que reçoit, en moyenne, Montréal au cours d’une année.

Source: Environnement Canada

 

Là où le bât blesse, c’est quand on quitte les larges artères pour s’aventurer dans le dédale des rues résidentielles. Plus étroites et moins sujettes à une circulation importante, tant automobile que piétonne, ces dernières sont bien souvent reléguées à la toute fin de la chaine d’entretien. Le problème, selon les experts, c’est ce que ces liens entre les lieux de résidences et les artères principales — où l’on retrouve bien souvent les services de proximité, les stations de métro et les arrêts d’autobus — sont cruciaux, voire même indispensables, pour assurer aux piétons des déplacements sécuritaires.

 

« Le problème, c’est que les gens ont peur de sortir de chez eux, insiste Isabel Wiebe, une étudiante au doctorat à l’INRS qui s’intéresse aux pratiques et expériences de mobilité des personnes âgées. Si le trottoir au pas de leur porte ne leur permet pas de se déplacer sans risquer de tomber, ils vont éviter de s’y aventurer. C’est aussi simple que ça. »« Et quand on y pense, les embûches ne se limitent pas aux infrastructures publiques, renchérit Anne-Marie Séguin. Dans les logements des quartiers centraux montréalais, ce sont également les escaliers extérieurs et à proximité des commerces, ce sont parfois les vastes étendues de stationnements. »

 

Conséquences réelles

 

En limitant les déplacements, l’hiver devient donc un facteur d’exclusion sociale important chez les aînés, précise Marie-Josée Dupuis de la TCAIM. « Beaucoup d’entre eux ne vont sortir que lorsque c’est vraiment essentiel, comme dans le cas d’un rendez-vous médical. »

 

« Ce sont les activités sociales et culturelles qui encaissent le coup, déplore Anne-Marie Séguin, également responsable de VIES (Vieillissement, exclusions sociales, solidarités), une équipe qui regroupe une quinzaine de chercheurs pluridisciplinaires. L’hiver devient alors une période de confinement, de réclusion. C’est triste parce que les interactions sociales des aînés sont déjà limitées en temps normal. »

 

Et quand elles ne sont pas évitées, ces sorties hivernales augmentent considérablement les risques de blessure. De fait, selon l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, près de la moitié des chutes extérieures sont associées à la présence de neige ou de verglas sur le sol.

 

« Ce n’est pas pour rien que les aînés restent à l’intérieur les jours suivant une tempête, insiste la professeure. Le facteur anxiogène de l’hiver est perceptible, mais les chutes, elles, sont bien réelles. » Et, malheureusement, ajoute-t-elle, pour une personne âgée, une chute qui entraîne une blessure, c’est bien souvent synonyme du début de la fin.

S’inspirer d’ici et d’ailleurs Déneigement prioritaire. Plusieurs villes des Prairies canadiennes, dont Edmonton, déneigent maintenant en priorité leurs trottoirs, et ce, même si les zones réservées aux voitures sont encore encombrées. Cette manière de faire assure aux usagers de la route les plus vulnérables des déplacements sécuritaires en tout temps.

Trottoirs chauffants. De Reykjavik, en Islande, à Sapporo, au Japon, en passant par Oslo, en Norvège, de plus en plus de villes optent pour la géothermie pour faire disparaître la neige de leurs trottoirs. La Ville de Montréal a déjà annoncé qu’elle songeait à intégrer cette technologie à la future Sainte-Catherine Ouest. Un dossier à suivre.

Abrasifs novateurs. Abondamment répandu dans les rues de Montréal, le sel, bien qu’il fasse fondre la glace à terme, crée de nombreux sillons dans le sol, rendant la marche particulièrement difficile pour les jambes instables. L’arrondissement de Villeray a commencé, cet hiver, à utiliser de la saumure pour déglacer ses pistes cyclables, et les résultats sont étonnants. Une expérience à répéter sur les trottoirs ?

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