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Un aîné coincé à 250 km de ses proches aidantes

Déménagé en CHSLD à Montréal alors qu’il voulait être près de sa famille à Québec, un homme âgé vit dans l’espoir d’un transfert. Entre-temps, les responsables des deux régions se renvoient la balle à savoir qui devrait s’occuper de son dossier.

ARIANE LACOURSIÈRE, LA PRESSE

En attente d’une place en CHSLD, Georges Labbé, 86 ans, espérait obtenir un lit dans un établissement près de ses filles, à Québec. Mais pour des raisons administratives, c’est plutôt dans un CHSLD de Montréal qu’il a dû déménager cette semaine. Ses enfants dénoncent un système d’accès à l’hébergement « déficient » et « insensé ».

« On n’est pas des proches aidantes. On est des aidantes éloignées », déplore l’une des quatre filles de Georges Labbé, Johanne.

« Le personnel fait vraiment ce qu’il peut. Mais on veut dénoncer le système de la santé dans sa prise en charge déficiente des personnes vieillissantes, particulièrement celles avec des problèmes cognitifs », ajoute une de ses autres filles, Lucie.

Jusqu’à tout récemment, Georges Labbé, ancien mécanicien et cadre dans une cimenterie, vivait dans une résidence privée pour aînés du quartier Ahuntsic à Montréal. L’homme qui a toujours été sociable, autonome et résilient recevait des soins à domicile. Malgré sa maladie d’Alzheimer, il était plutôt fonctionnel et profitait de la vie. Ses filles le visitaient régulièrement, mais pas tous les jours. « Il avait moins besoin de nous à ce moment », affirme Lucie.

Dans les derniers mois, M. Labbé a fait quelques chutes. Il a dû être hospitalisé au début de juin. Ses filles se sont épaulées afin d’être présentes le plus souvent possible à son chevet. Et ce, même si seulement l’une d’entre elles, Chantal, possède un pied-à-terre à Montréal. Celle-ci est toutefois sur le point de déménager à Québec, où habitent Johanne et Manon. Lucie réside pour sa part à Saint-Sauveur.

Même si sa famille assure une présence quasi quotidienne auprès de lui depuis son hospitalisation, M. Labbé a vu son état se dégrader. Il est devenu de plus en plus confus et anxieux. Le 29 juin, on a indiqué aux sœurs Labbé que leur père serait placé sur une liste d’attente pour obtenir un lit de CHSLD. Lundi, on l’a déménagé dans un lit « transitoire » dans un CHSLD du nord de Montréal.

Allez aux urgences…

Dès le départ, les sœurs Labbé ont pourtant indiqué qu’il serait souhaitable que leur père déménage dans un CHSLD de Québec. « Mais on nous a dit que puisque son adresse est à Montréal, il serait déménagé dans un lit transitoire à Montréal. Et on nous a dit que pour obtenir une place dans un CHSLD de Québec, ça pourrait prendre un an, deux ans, trois ans », affirme Lucie. Celle-ci a demandé s’il serait possible que le lit « transitoire » soit à Québec. « C’était impossible », dit-elle.

Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, on mentionne que c’est « la région de destination qui traite la demande d’accès à l’hébergement » d’un usager qui souhaite changer de région. Au CISSS de la Capitale-Nationale, on dit « ne pas avoir reçu de demande d’hébergement » pour M. Labbé. « La transmission d’une demande appartient à la région qui héberge présentement l’usager, soit Montréal dans ce cas-ci », a indiqué par courriel la porte-parole, Mariane Lajoie.

Se sentant prises dans des dédales administratifs, les sœurs Labbé ont tenté de savoir si d’autres solutions seraient envisageables pour accélérer le déménagement de leur père à Québec. Elles se sont fait dire de le prendre chez elles, ce qui n’est pas possible, explique Lucie.

« On s’est aussi fait dire de l’amener nous-mêmes aux urgences dans un hôpital à Québec, ajoute-t-elle. Que ça se pourrait qu’ils fassent une demande pour un lit de CHSLD à Québec. Mais ça se pourrait aussi qu’ils le retournent dans une salle d’urgence à Montréal… » « Face au mur », les sœurs Labbé se sont donc résignées à accepter une place transitoire à Montréal.

Malgré la distance, Johanne continuera de venir voir son père à Montréal, comme elle le fait déjà. Souffrant de troubles de vision, elle doit toutefois prendre le train et un transport adapté. « Ça me fait plaisir. Mais ça fatigue », dit-elle.

Ce qui me désespère, c’est que ce lit transitoire à Montréal risque d’être son dernier. Cette décision de l’installer à Montréal se fait au détriment de sa santé à lui.

Johanne Labbé

Des demandes qui « se perdent dans le système »

La situation vécue par la famille Labbé a été décriée en 2021 par le Protecteur du citoyen. Dans un rapport spécial sur l’accès à l’hébergement public au Québec, il dénonçait le fait qu’il soit « très difficile, voire impossible, d’obtenir une place d’hébergement à l’extérieur de la région de son domicile actuel, avec les répercussions personnelles et familiales que cela entraîne ».

DÉLAI D’ATTENTE MOYEN POUR OBTENIR UNE PLACE EN CHSLD

Sur son territoire : de 9 à 10 mois

Dans un autre territoire : de 12 à 14 mois

Source : rapport spécial du Protecteur du citoyen

Le Protecteur écrivait que les demandes d’hébergement interterritoriales « sortent du radar » et « se perdent dans le système ». « Ce constat va à l’encontre de l’idée selon laquelle le rapprochement des personnes hébergées et de leurs proches doit être encouragé », est-il écrit dans le rapport. Le Protecteur du citoyen demandait qu’un « mécanisme unique de suivi des demandes interterritoriales soit mis en place et que l’accès à l’hébergement sur le territoire d’accueil soit facilité ».

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on indique que les règles relatives aux demandes interterritoriales ont été précisées depuis 2021 et mentionnent que « toute demande d’hébergement à un établissement d’un territoire doit être traitée sur un pied d’égalité, sans égard au territoire de provenance de la demande ou de l’usager ».

Pour les Labbé, la situation vécue par leur père est « insensée ». « Chaque intervenant qu’on rencontre est d’accord pour dire que pour des gens qui ont l’alzheimer ou des troubles neurocognitifs, cette situation d’incertitude sur le lieu de vie est très néfaste, rend la vie super pénible et peut même la raccourcir », dit Johanne.

Les sœurs sont inquiètes pour leur père. « Mais aussi pour nous, dit Lucie. J’ai l’impression que le système n’est pas prêt à prendre soin des personnes âgées. Et il le sera encore moins si rien n’est fait parce qu’on arrive, nous autres les baby-boomers. Pour moi, c’est une inquiétude immense… »

Source: La Presse

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