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Médicaments génériques : les pharmaciens reçoivent-ils des ristournes?

Radio-Canada – 13 janvier 2019

Le plus grand distributeur de produits pharmaceutiques au Canada profite-t-il de ristournes illégales sur les ventes de médicaments génériques en Ontario? Une enquête par caméra cachée et des documents confidentiels obtenus par l’équipe de The Fifth Estate, de CBC News, soulèvent des questions en ce sens.

La mise en place d’un système de ristournes pour des médicaments génériques est illégale en Ontario et au Québec.

Des études ont montré que cette pratique fait augmenter le coût des médicaments génériques pour tous les Canadiens.

McKesson Canada, qui distribue des médicaments génériques dans plus de 8000 pharmacies au pays et qui a récemment acheté plus de 400 pharmacies Rexall, nie cette allégation.

La société canadienne est une filiale de la société McKesson basée à San Francisco, numéro 6 du classement Fortune 500 et le plus important distributeur pharmaceutique en Amérique du Nord, fournissant un tiers de tous les médicaments du continent, selon son site web.

Une enquête par caméra cachée menée par The Fifth Estate a permis d’enregistrer des conversations avec trois pharmaciens indépendants dans deux pharmacies qui suggèrent que McKesson enfreint la loi en Ontario.

« [McKesson] donne les chiffres à [mon groupe d’acheteurs], ils consolident les chiffres et me rendent 50 % du montant », a déclaré un pharmacien basé en Ontario à un vendeur de médicaments génériques travaillant anonymement pour The Fifth Estate.

En d’autres termes, pour chaque 10 $ de médicaments vendus par le pharmacien, il pourrait en mettre 5 dans ses poches. En échange, le pharmacien vend les médicaments génériques de McKesson, donnant ainsi à l’entreprise des ventes supérieures à celles de ses concurrents.

Ce pharmacien obtient-il une ristourne de 50 % de McKesson Canada? La question s’impose.

Les Canadiens paient des prix parmi les plus élevés au monde pour leurs médicaments génériques.

« L’avidité est une arme puissante », a déclaré Paul Bailey, président de l’Association des policiers retraités de l’Ontario, un groupe composé de membres qui vivent avec des budgets restreints et de petites pensions. M. Bailey, qui a réclamé des enquêtes criminelles sur le sujet par le passé, croit aujourd’hui qu’une commission d’enquête publique devrait être mise sur pied pour faire la lumière sur la situation.

Il a visionné les images capturées à l’aide de caméras cachées qui montrent également que plusieurs pharmaciens en Ontario demandaient activement des ristournes.

« Une fois encore, c’est le contribuable qui se fait avoir », explique M. Bailey.

Interdit en 2013
La pratique consistant à recevoir des ristournes en échange de l’offre d’une marque particulière de médicaments génériques a été réglementée en Ontario à compter de 2006.

Une interdiction totale des ristournes – directes ou indirectes – dans la province est entrée en vigueur en 2013 pour les médicaments génériques. Le Québec est la seule autre province ou territoire du pays à imposer des restrictions du genre.

Selon un rapport gouvernemental récent, les prix des médicaments génériques ont baissé depuis 2006, mais les Canadiens paient toujours le deuxième montant le plus élevé parmi les pays de l’OCDE.

En plus de mener une enquête à la caméra cachée, The Fifth Estate a obtenu une présentation interne que McKesson donne à ses employés ainsi qu’un document confidentiel déposé lors d’une audience à l’Ordre des pharmaciens de l’Ontario.

Les deux documents soulèvent la même question : McKesson Canada profite-t-elle d’un système de ristournes illégales en Ontario?

Est-ce que l’entreprise donne des pots-de-vin à des pharmaciens indépendants en Ontario afin d’accaparer le marché des médicaments génériques?

« Les gens ne savent pas qu’ils se font arnaquer et ne connaissent pas la raison pour laquelle ils paient leurs médicaments aussi cher », selon M. Bailey.

McKesson Canada nie les allégations
The Fifth Estate a demandé une entrevue avec la présidente de McKesson Canada, Paula Keays. Celle-ci a répondu par voie de déclaration écrite.

Mme Keays a reconnu que la société paie les pharmacies qui offrent sa gamme de médicaments génériques, mais a nié qu’il s’agisse de pots-de-vin ou de ristournes illégales.

« McKesson Canada n’offre aucune ristourne en Ontario et toute affirmation contraire est manifestement fausse », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Les paiements effectués par sa société, a-t-elle déclaré, sont « pleinement conformes à toutes les réglementations provinciales en vigueur et constituent l’un des moyens utilisés par les pharmacies indépendantes pour améliorer les services fournis aux patients, comme l’installation de stations de surveillance de la pression artérielle, l’introduction de nouvelles technologies et l’automatisation des services », selon elle.

Une enquête à plusieurs volets
Une enquête menée par The Fifth Estate en mars 2018 a révélé que Costco exigeait des rabais illégaux de plusieurs millions de dollars d’un fabricant de médicaments génériques.

Après la diffusion de l’enquête, The Fifth Estate a reçu un courrier électronique d’une personne possédant plusieurs années d’expérience dans le secteur de la vente de produits pharmaceutiques suggérant que le problème allait bien au-delà de Costco.

« Ce n’est pas seulement Costco… Toutes les pharmacies du pays acceptent encore des ristournes. Je suis un ancien représentant et je peux vous assurer que cela se produit. »

Afin de vérifier si les pharmaciens en Ontario demandaient des ristournes ou d’autres formes de commissions illégales, la personne qui a écrit le courriel a accepté d’aider The Fifth Estate et de devenir un faux revendeur. Parce qu’il travaille toujours dans l’industrie, The Fifth Estate a accepté de protéger son identité.

« Le problème, c’est que tout le monde offre des ristournes de plus en plus élevées en raison de la compétition », a-t-il déclaré en entrevue. Selon lui, chaque fois qu’un distributeur veut offrir des ristournes plus alléchantes, le prix des médicaments affectés augmente.

The Fifth Estate a créé une fausse société de médicaments génériques appelée Dari Pharmaceuticals et a créé des cartes de visite, une liste de produits et un site web.

 

En l’espace de 3 jours, The Fifth Estate a visité 17 pharmacies indépendantes à Kitchener, à Cambridge et à Hamilton et s’est entretenu avec 9 propriétaires de pharmacie souhaitant acheter des médicaments génériques. Tous sauf un ont demandé si la fausse compagnie offrait des ristournes illégales.

Plusieurs pharmaciens ont également ouvertement discuté de leur arrangement actuel, affirmant recevoir des ristournes des autres grandes entreprises.

« Disons que si j’en achète 1000, par exemple, ils m’offrent un rabais de 50 % », a déclaré un pharmacien au faux vendeur de The Fifth Estate, évoquant son accord actuel avec McKesson Canada.

« [Les autres entreprises] vont au-delà de 50 % pour inciter les pharmaciens à changer de camp », a déclaré un autre pharmacien. « Certains jours, ils vont à 60 [pour cent], d’autres jours à 70 [pour cent]. »

Certains pharmaciens demandaient des détails sur le versement desdites ristournes, tandis que d’autres ont parlé d’un libellé technique qui pourrait être utilisé pour cacher un pot-de-vin et contourner la loi en Ontario.

« Donc, en gros, [une entreprise moyenne] nous envoie un chèque tous les mois et ce n’est… techniquement pas une ristourne, c’est plus… pour des services professionnels et autres », a déclaré un autre pharmacien. « C’est comme ça que la plupart des gens discutent du sujet de nos jours. »

Une présentation interne intéressante
Un document interne de McKesson Canada obtenu par The Fifth Estate suggère que la société utilise également une variété de termes pour décrire les paiements versés aux pharmaciens.

La présentation PowerPoint créée en 2017 demande aux employés de supprimer le mot « ristourne » de leur vocabulaire, tandis que d’autres termes tels que « indemnités professionnelles » doivent être « utilisés avec prudence ».

La présentation indique que les ristournes sont illégales en Ontario, mais que les pharmacies appartenant à McKesson, comme les bannières Guardian ou IDA, recevraient des paiements directs dans diverses circonstances.

« Les quatre principales bannières McKesson effectuent des paiements à leurs pharmaciens, mais pour des choses différentes, sous des noms différents et dans des circonstances différentes. Parfois, nous utilisons les mêmes mots pour signifier différentes choses », peut-on lire dans le document.

CBC News a interrogé McKesson à propos de la présentation et la société a nié que le document suggère de payer des pots-de-vin ou des ristournes illégales en Ontario.

« Comme on pouvait s’y attendre, nos différentes bannières de détail ont rémunéré leurs membres respectifs pour différentes choses, sous différents noms, avant leur acquisition par McKesson Canada », affirme la société dans un communiqué.

« Par conséquent, l’un des principaux moteurs du projet reflété dans la présentation consistait à s’assurer que les pratiques d’entreprise rigoureuses de McKesson Canada se retrouvaient dans toutes les activités de la bannière McKesson Canada. Les références à l’Ontario tout au long du document renforcent le fait que les ristournes y sont illégales. »

Des millions pourraient être économisés
Les Canadiens paient depuis des décennies des prix parmi les plus élevés au monde pour les médicaments génériques. Au milieu des années 2000, le Bureau de la concurrence du Canada a été l’un des premiers à examiner en détail pourquoi.

Un homme discute avec un autre homme
« Beaucoup de gens avaient des théories, mais nous voulions clarifier le fonctionnement et les ruptures du marché des médicaments génériques », a déclaré l’enquêteur principal Mark Ronayne en entrevue avec CBC News.

Deux rapports, l’un en 2007 et l’autre en 2008, ont établi que la pratique des ristournes était répandue au Canada et coûtait aux Canadiens des centaines de millions de dollars chaque année.

« Les remises versées aux pharmacies ont représenté une part importante du coût des médicaments génériques pour les payeurs, soit 40 % ou plus des dépenses en médicaments génériques », ont conclu les rapports.

« Les contribuables, les consommateurs et les entreprises du Canada pourraient économiser jusqu’à 800 millions de dollars par an si des modifications étaient apportées à la manière dont les régimes privés et les provinces financent les médicaments génériques. Les économies potentielles pourraient atteindre plus d’un milliard de dollars par an dans les années à venir, alors que plusieurs des médicaments nommés perdent leur brevet. »

Pourtant, la pratique est toujours légale au Canada. Selon M. Ronayne, de « puissants intérêts » ont bloqué le changement de loi au fédéral.

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