L’obligation de déménager au 1er juillet est devenue un casse-tête pour plusieurs ménages québécois. À la rareté des logements généralisée s’ajoute une hausse des loyers parfois importante. Une situation qui touche durement les moins nantis. Voici le portrait de deux aînés pour qui 1er juillet rime avec anxiété.
Le dos voûté, Carol Lortie se dirige lentement vers la salle de bain. Elle dégage des pots de médicaments, trouve un verre propre sur un comptoir envahi d’objets.
Le sel et le poivre sont déposés près du robinet, des conserves, empilées sous le lavabo. Des produits médicaux ont été déposés dans la baignoire.
La septuagénaire maximise l’espace dans cette chambre de motel près de Granby. Son chez-soi depuis une dizaine de mois. Mini-réfrigérateur et bruyant climatiseur inclus.
Cuisiner avec le micro-ondes ne l’emballe pas. On ne peut pas faire cuire la viande dedans. Je peux faire des nouilles, des patates. Du jambon cuit quand il est en spécial.
Vous avez vu le garde-robe? demande-t-elle. C’est juste une pôle. Une petite pôle.
On se débrouille comme on peut avec l’espace disponible.
Cette chambre devait être un refuge temporaire l’été dernier, le temps de trouver un logis à bon prix. Ah, mon Dieu Seigneur! J’ai cherché, cherché. J’ai appelé, j’ai appelé…
Tout ce qui l’intéressait était déjà loué… ou trop cher. Un quatre et demi qui accepte son chien coûterait 1500 dollars par mois. Wow, minute! Où sont les loyers allant dans les 800 $, dans les 700 $?
Quand le réseau s’effrite
Cette ancienne fonctionnaire fédérale explique avoir dû vendre sa maison à Brossard, car elle était incapable de payer les taxes municipales qui ne cessaient de grimper.
Ce sont des organismes d’aide qui l’ont aiguillée vers ce motel, où elle doit verser près de 1000 dollars chaque mois. Elle soupire en pensant à ce qu’est devenu son quotidien.
« C’est déprimant parfois. Quand vous êtes en appartement, vous pouvez vous faire des amis parmi vos voisins. Ici, les voisins, on les voit peut-être deux, trois jours et puis ils s’en vont. »— Une citation de Carol Lortie, retraitée en quête d’un chez-soi
Carol assure ne plus pouvoir compter sur sa famille, uniquement sur la générosité d’étrangers. Des gens qui l’accompagnent à ses rendez-vous médicaux, qui l’aident à chercher un logement.
Sans toit après trois ans dans une roulotte
À une quarantaine de kilomètres de là, un autre septuagénaire vit une situation tout aussi difficile. Pierre-Paul Arsenault semble bien seul au monde, debout près de son camion.
L’homme montre le sol du doigt. C’est ici qu’elle était.
Il désigne l’espace qu’occupait sa roulotte sur un stationnement de gravier. Son unique logis dans les dernières années.
Pierre-Paul Arsenault a passé trois ans dans une roulotte sans eau courante ni toilette. Un fifth wheel
installé sur le terrain d’une entreprise de paysagement pour 800 dollars par mois.
Tracteur, diesel, fioul, grosse boucane. Et le bruit, la poussière qui passe par-dessus les arbres. C’est pas reposant! Je regardais toujours ailleurs pour aller ailleurs… Jamais trouvé!
Cette semaine, Pierre-Paul Arsenault a été forcé d’arrêter de dormir dans sa roulotte. Marieville a décidé d’appliquer ses règlements. Des raisons de sécurité ont été invoquées.
Oui, mais il y a une pénurie de logements et je suis à l’abri.
L’argument n’a pas convaincu. Il se retrouve sans toit, presque sans contact. Avec sa maigre pension de retraité.
« Vous pourrez lui dire à monsieur [François] Legault : je suis à la rue. Je couche dans mon « truck ». Moi, un Québécois qui a payé [ses taxes], qui a une carte d’assurance maladie. »— Une citation de Pierre-Paul Arsenault.
Rêver d’un logis
L’ancien arpenteur assure avoir demandé l’aide d’organismes, mais il n’est pas prêt à tout accepter… surtout si cela veut dire s’éloigner des seuls amis qu’il a dans la région.
Si vous voulez que je déménage à Chibougamau, que je m’expatrie? J’ai pas l’âge de faire ça. J’ai pas un véhicule qui peut rouler 150 milles par jour. Je ne peux pas déménager loin.Québec offre de l’aide par l’intermédiaire des offices d’habitation. Un fond d’urgence est prévu pour les cas extrêmes. Le septuagénaire hésite à les contacter, de peur de
prendre la place de quelqu’un d’autre.
Je suis bien découragé. J’ai 70 ans. Je suis pas supposé vivre ça! J’ai vraiment un problème…La voix traîne, s’affaiblit.Là, sont en train de me rendre malade.Pierre-Paul rêve de retourner en Gaspésie, mais ne sait trop si sa vieille camionnette pourra tirer la roulotte. Il souhaite finir ses jours dans un endroit paisible, près d’un lac.
Les oiseaux, la nature. Mettre [les problèmes des dernières années] en arrière. Et profiter des quelques années qui me restent… les faire en paix.Le rêve d’un petit studio
Dans sa chambre de motel, Carol oscille aussi entre espoir et désespoir. Elle pourrait finalement obtenir les clés d’un petit studio. Mais il lui faut d’abord trouver un endosseur.
Elle a quelques jours pour le faire : une aide gouvernementale d’urgence lui permet de rester quelques nuits de plus au motel. Un répit qui lui permet aussi, quelques instants, de rêver.
Ce dont elle a surtout hâte, c’est de retrouver une cuisine et un four.
Mes tourtières! Mon pain! Me faire cuire un petit rôti. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu ça.Le sourire revient quelques instants. Elle se voit dans ce petit appartement. Elle pourrait enfin avoir sa vie à elle.
Parce qu’ici, c’est pas une vie. C’est loin d’être une vie…