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La médecine familiale manque de sang neuf

Amélie Daoust-Boisvert – Le Devoir – 13 mars 2018

Les jeunes médecins se détournent de plus en plus de la médecine de famille : près d’une centaine de postes de résidents, un record, sont restés vacants cette année au premier tour du jumelage. Cette désaffection qui s’accentue au fil des ans priverait à terme plus de 200 000 patients d’une prise en charge en première ligne, s’inquiète la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

Ce sont 96 postes de résidents en médecine de famille, sur un total de 498, qui n’ont pas trouvé preneur cette année, soit près d’un poste sur cinq. Les résultats ont été rendus publics ces derniers jours par le Service canadien de jumelage des résidents.

Se désolant de la situation, le président de la FMOQ, Louis Godin, y voit un phénomène « très très préoccupant ».

Certains postes pourraient être pourvus au deuxième tour par des étudiants en médecine refusés dans leur premier choix de spécialité. Le Dr Godin ne s’attend pas à un revirement spectaculaire de la situation, à la lumière des données des années passées.

L’an dernier, 85 postes étaient restés vacants au premier tour et 56 l’étaient toujours au deuxième, qui se clôture en avril. En 2014, la situation était pourtant bien différente : seulement 22 postes n’avaient pas été pourvus au deuxième tour.

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Dans les spécialités, seuls 11 postes n’ont pas été pourvus pour l’instant. Dans l’ensemble du Canada hors Québec, ce sont 62 postes en médecine de famille qui sont toujours vacants au premier tour.

C’est l’Université Laval qui compte le plus de postes de résidents en médecine de famille de libres au premier tour, soit 45, contre 21 à Sherbrooke, 19 à l’Université de Montréal et 11 à McGill.

La présidente de la Conférence des doyens des facultés de médecine, la Dre Hélène Boisjoly, juge qu’il est prématuré de se prononcer sur la situation, car le processus de jumelage n’est pas terminé. « Tout peut donc encore changer au second tour et nous jugeons qu’il faut faire preuve de prudence quant aux messages lancés à la population », a-t-elle indiqué dans une réponse écrite faite au Devoir.

Selon elle, « seuls les résultats du second tour […] permettent de tirer des conclusions solides quant à la situation observée ».

La Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) n’a pas souhaité non plus commenter la situation tant que les résultats du deuxième tour ne seront pas connus.

Un déficit qui s’accumule

Le Dr Godin craint que quelque 75 postes soient toujours non pourvus au deuxième tour en avril. Cela porterait à 215 le déficit en médecins de famille accumulé depuis 2015 au Québec, année où la désaffection des étudiants a commencé à se faire sentir. « Ça veut dire des milliers de patients sans suivi et moins de médecins pour assumer les gardes dans les établissements », dénonce-t-il. « Les médecins de famille sur le terrain vont devoir redoubler d’efforts, je crains que la charge de travail ne puisse en pousser à la retraite », ajoute-t-il.

Il déplore que le Québec s’éloigne de plus en plus de sa cible de former 55 % de médecins de famille par rapport aux spécialistes.

Où vont alors les jeunes médecins ? Selon le Dr Godin, soit ils quittent le Québec pour faire leur résidence, soit ils prennent une année sabbatique en espérant obtenir un poste dans la spécialité de leur choix l’année suivante.

La FMOQ est toujours loin de la cible de 85 % de Québécois suivis par un médecin de famille, avec un score de 79 % au 31 janvier dernier. Le Dr Godin estime que, si les diplômés attendus avaient été formés, 84 % des Québécois auraient un médecin de famille à ce jour.

Le spectre de la loi 20, qui prévoyait des sanctions si la cible n’était pas atteinte, a été suspendu temporairement en décembre dernier. Québec a permis la préinscription de patients, c’est-à-dire de les compter comme inscrits avant le premier rendez-vous, ainsi que la prise en charge de blocs de patients par un jeune médecin qui reprend la clientèle d’un autre qui part à la retraite. La loi 20 prévoit que, si les cibles ne sont pas atteintes, les médecins fautifs seront privés de 30 % de leurs revenus.

Près de 350 000 patients sont en attente d’un médecin de famille, estime la FMOQ.

« C’est clairement le symptôme de quelque chose », dénonce le Dr Godin. Mais de quoi ? Il attribue le manque d’attractivité de la médecine de famille aux mesures « coercitives » du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, aux « menaces de pénalités », aux problèmes d’organisation du travail en première ligne. « Tout cela mis en ensemble, ce n’est pas vraiment surprenant, se désole-t-il. C’est tout l’effet de ce qui a été mis en place depuis trois ans. »

Le Dr Godin en appelle à un « assainissement du climat » pour renverser la tendance.

Tout comme le soulignait l’étude publiée la semaine dernière sur la rémunération médicale, l’écart entre les revenus des omnipraticiens et des spécialistes s’est aussi creusé ces dernières années. Alors que les spécialistes ont rejoint la moyenne canadienne, ce n’est pas le cas des médecins de famille.

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, un médecin de famille gagnait en moyenne 255 000 $ par an en 2015-2016 contre 381 000 $ pour les spécialités cliniques et 456 000 $ pour les spécialités chirurgicales.

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